Les incohérences du Forfait Structure

Le Forfait Structure était une demande forte de la FMF depuis longtemps.

J’avais qualifié la version incluse dans la Convention 2016 d’ébauche à améliorer. Malheureusement l’évolution s’est faite totalement dans l’autre sens depuis.

Et la version 2022 confirme ces évolutions délétères. Au point d’en devenir totalement incohérente.

A commencer par la toute première, le transfert dans le volet 1 de l’item « Implication prise en charge coordonnée » (conformément aux avenants 7 et 9, non signés par la FMF), qui supprime de fait le Forfait Structure pour environ la moitié des médecins libéraux. C’est une première incohérence alors même que le CNAM mise sur les Forfaits dans la nouvelle convention pour revaloriser les honoraires médicaux, et que la mise en place de structures d’exercice coordonné a subi de gros retards du fait de la crise COVID. Supprimer l’un de ces forfaits au cours même de la négociation est assurément un signal très fort pour que les médecins se défient des forfaits et les rejettent !

Ensuite, pour les 50 % de rescapés, le maximum des points risque d’être très difficile à atteindre

Les téléservices : en mai 2022 les modalités de prescription de arrêts de travail et de déclaration de Accidents de travail ont brutalement changé, rendant subitement inutilisables les services AATi et ATMPi de déclaration intégrés dans les logiciels de gestion de cabinets, les éditeurs n’ayant pas été avertis en amont. Ils ont mis plusieurs mois à remettre de nouvelles versions à disposition des médecins, qui souvent ont préféré au papier que d’utiliser EspacePro et ses pannes récurrentes. Mais auront d’autant plus de mal à atteindre les seuils minimaux d’utilisations, encore durcis cette année. Drôle de manière donc de donner envie d’utiliser ces services !
Même chose pour le service de prescriptions de transport en ligne, mais là c’est l’inefficience du service qui est responsable de son manque d’utilisation.

Les logiciels Ségur : ils ne sont pas encore dans le volet 1 donc pas encore obligatoires (mais le seront en 2023) mais certains items sont déjà valorisés dans le volet 2 : alimentation du DMP et utilisation de la messagerie sécurisée avec les patients. Chic ! direz-vous.

Oui mais … le développement des logiciels Ségur a subi un énorme retard. Les deadlines étaient théoriquement le 15 juillet 2022 pour la commande et le 31 octobre pour l’installation. Elles ont été décalées respectivement au 30 novembre 2022 et au 28 avril 2023 ! Il est alors évident que très peu de médecins pourront atteindre les objectifs. D’autant plus que le déploiement du DMP a (encore !) pris du retard et qu’en pratique la fonction « messagerie Sécurisée DMP » n’est pas fonctionnelle.

Le SAS (Service d’Accès aux Soins). La convention prévoit une indemnisation forfaitaire pour la participation au SAS et une indemnisation proportionnelle à l’effection. Mais là encore on a mis la charrue avant les bœufs, puisque dans de nombreux départements le SAS n’est même pas encore déployé !
Et d’autre part cet été a été mise en place la majoration SNP pour les Soins Non Programmés, mais qui a entraîné la mise entre parenthèses des rémunérations SAS. Normalement le système SNP était beaucoup plus intéressant, mais dans les faits il a été très décevant. Pourtant le système qui devait s’arrêter le 30/09/2022 perdure officieusement, inactivant toujours les rémunérations SAS …
C’est d’ailleurs là un exemple inédit d’interférence entre les décisions ministérielles et les négociations conventionnelles. Nous avons déjà eu des cotations créées par le gouvernement sans passer par la convention (PCV, C1,74, C2, puis C1,7, puis C1,5 pour les tests antigéniques), mais jamais aucune qui remplace des dispositions conventionnelles !

Nous avons donc une version 2022 du Forfait Structure qui

  • oublie la moitié des médecins
  • prévoit de rémunérer des téléservices inutilisables
  • et prévoit une rémunération pour une participation au SAS inactivée par décision ministérielle !

N’en jetez plus la coupe est pleine ! ou plutôt vidée de son contenu.
Il serait totalement justifié que tous ces items soient non pas neutralisés, mais bien accordés par défaut à tous les médecins.

Mais il manque encore dans ce tableau le volet 3, soit les rémunérations rattachées :

L’aide à l’emploi des assistants :

Beaucoup l’ignorent, mais l’aide versée par les CPAM pour les assistants médicaux est techniquement une part du Forfait Structure (ce qui fait d’ailleurs que ce soit comptabilisé en honoraires conventionnés).
Donc les médecins qui ont embauché un(e) assistant(e) avec l’aide de la CPAM mais qui ne remplissent pas tout les items du volet 1 ne pourront pas toucher l’aide promise sur laquelle ils comptent bien évidemment.
Sont concernés plus particulièrement tous ceux qui n’ont pas eux la possibilité d’adhérer à une CPTS parce qu’il n’y en a pas sur leur territoire et qui n’exercent pas en MSP, soit qu’ils sont seuls dans leur cabinet, soit qu’ils exercent en cabinet de groupe sans paramédicaux, donc techniquement en exercice regroupé, mais pas coordonné (différence subtile, mais fondamentale pour la CNAM).
« On » leur rétorquera que cette condition figure pourtant en toutes lettres dans le contrat qu’ils ont signé sans pourtant leur accorder que le territoire national n’est pas encore totalement couvert par les CPTS, ou que monter une CPTS prend en moyenne 2 ans (et encore, le COVID est encore venir ralentir les procédures).
Pourtant la CNAM est bien consciente de cet écueil, puisque dans ses propositions pour la nouvelle convention figure la sortie de l’aide à l’emploi des assistants médicaux du Forfait Structure … mais aussi l’obligation pour le médecin employeur d’adhérer à une CPTS, dès lors qu’il en existe une sur son territoire d’exercice.

Et le forfait d’alimentation du DMP avec les volets de synthèse médicale

C’est un item spécifique et « one shot » du forfait structure « 2022-2023 » puisque son champ de définition s’arrête au 30/06/2023, écrit spécifiquement pour les logiciels Ségur :

Dans ce cadre un nouveau forfait intitulé forfait élaboration initiale du VSM est créé. Ce forfait est calculé de la manière suivante.

  • versement d’un forfait d’un montant de 1 500 euros si le médecin a élaboré des VSM pour au moins la moitié de sa patientèle ALD et que ces VSM alimentent le DMP ;
  • ce forfait est porté à 3 000 euros si le médecin a élaboré des VSM pour 90 % de sa patientèle ALD et que ces VSM alimentent le DMP.

Ce forfait est pondéré par la taille de la patientèle médecin traitant du médecin sur la base de la patientèle de référence retenue pour le calcul de la ROSP prévue à l’article 27.3.
Ce forfait est valable si le VSM est établi en format non structuré. Afin d’inciter à la structuration des VSM, laquelle demande plus de temps, le forfait est majoré de 20 % si plus d’un tiers des VSM alimentant le DMP sont générés de manière structurée dans le format conforme au Cadre d’interopérabilité des Systèmes d’information de Santé (CI-SIS).
Ce forfait est versé une seule fois dans la mesure où l’objectif est de valoriser l’initiation de l’élaboration des VSM. Ce versement a lieu au cours du second semestre 2023 dès lors que les objectifs fixés ci-dessus sont atteints au plus tard le 30 juin 2023. »

Il est donc prévu que les médecins atteignent avant le 30 juin 2023  80 % d’élaboration et d’alimentation des DMP des patients ALD alors même que nombre d’entre eux ne sont pas activés et que la date limite d’installation des logiciels Ségur est repoussée au 28 avril 2023.
Est c’est un item jetable à usage unique ! tant pis pour ceux qui s’y mettront trop tard, tant pis pour les nouveaux installés, tant pis pour tous les futurs installés, tant pis pour ceux qui auront à cœur d’actualiser les VSM et qui n’auront donc que la satisfaction de travailler (bien) gratuitement. Il y a pourtant longtemps que je clame que le VSM est la pièce maîtresse des DMP, la seule qu’il faudrait sauvegarder en fait plutôt que de promouvoir un entassement insensé de documents mal classés et inexploitables, et que c’est donc un travail important, difficile et fondamental … et qui mérite donc d’être rémunéré comme tel.

Donc si on résume :

Le Forfait Structure, d’idée prometteuse, a totalement dérivé vers un outil de coercition

  • pour obliger les médecins à adhérer aux CPTS ;
  • pour leur vendre des téléservices mal foutus ;
  • pour les faire adhérer au SAS, mais finalement ne pas les payer pour cette participation ;
  • pour les appâter vers les logiciels Ségur et les faire alimenter les DMP sans finalement les payer non plus.

Et en plus au dernier moment, il exclut autoritairement 50 % des bénéficiaires de 2022, alors même que l’inflation leur a volé 15% de leurs revenus.

 

Et si on faisait un peu de politique fiction ?

La convention actuelle s’arrête au 31 mars 2023. Qu’est-ce qui empêche la CNAM d’argumenter que les paiements devant intervenir après cette date ne sont plus valables ?
Bien sûr c’est un peu (et même très) gros.
Mais nous avons encore en souvenir la disparition pure et simple de la fabuleuse aide de 0,07 € par FSE non payée au dernier trimestre 2011 après la signature de la convention 2011 et le micmac jamais totalement éclairci du paiement du dernier trimestre des Rémunérations Médecin traitant en 2017 au moment de la réforme de ce forfait avec la convention 2016.

Alors nous allons faire confiance à la CNAM, mais rester très attentifs …