Sécuriser les tiers-payants

Le tiers-payant (TP), au moins sur la part Assurance Maladie Obligatoire (AMO), progresse régulièrement en France, même parmi les médecins qui lui sont pourtant traditionnellement opposés.

La dernière enquête de l’IGAS (malheureusement de 2017) montre clairement cette évolution :

Pourquoi le tiers-payant ?

Parce que les cas de tiers payant obligatoires se sont multipliés ces dernières années :

  • soins en rapport avec un accident de travail ou une maladie professionnelle (ATMP) ;
  • consultations au cours desquelles vous prescrivez un contraceptif ou des examens de biologie médicale à une mineure d’au moins 15 ans ;
  • actes de prévention réalisés dans le cadre d’un dépistage organisé (par exemple, la mammographie effectuée lors du dépistage organisé du cancer du sein) ;
  • examens de prévention bucco-dentaire dispensés aux enfants ou adolescents âgés de 6, 9, 12, 15 et 18 ans, ainsi que les soins consécutifs à cet examen, pour les enfants de 6 et 12 ans ;
  • actes de lecture différée d’une rétinographie en couleur, sans la présence du patient, par le médecin lecteur dans le cadre du dépistage de la rétinopathie diabétique ;
  • honoraires perçus pendant une hospitalisation dans un établissement sous convention avec l’Assurance Maladie, pour la part obligatoire et, le cas échéant, pour la part complémentaire ;
  • soins dispensés à un patient bénéficiaire de la Complémentaire santé solidaire (C2S) ;
  • soins dispensés à un patient bénéficiaire de l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS) ;
  • soins dispensés à un patient en affection de longue durée (ALD) ou à un(e) patient(e) pris(e) en charge au titre de l’assurance maternité, depuis le 1er janvier 2017 ;
  • soins dispensés à un patient bénéficiaire de l’aide médicale d’État (AME) ;
  • soins dispensés dans le cadre de la permanence des soins (intervention suite à régulation ou du centre d’appel de l’association de permanence des soins), pour la part obligatoire ;
  • examens et soins dispensés à une patiente enceinte exposée au virus Zika ;
  • soins en lien avec un acte de terrorisme.

Enfin, depuis le 1er janvier 2017, le tiers payant sur la part obligatoire peut également être proposé à tous vos patients ; il ne peut même théoriquement pas leur être refusé s’ils en font la demande (mais en pratique ce refus n’est sanctionnable que pour les ATMP, et les patients relevant de la C2S, de l’ACS ou de l’AME).

Et d’autre part il existe aussi pour le médecin quelques avantages au tiers payant : moindre manipulation d’argent (donc moins de risque d’aggression) et rentrées d’argent régulières et immédiates (ou presque) sur le compte sans nécessité de dépôt de chèques ou d’espèces, travail de gestion bancaire moindre. Avantages qu’on retrouve aussi d’ailleurs avec les paiements par carte bancaire.

Et l’épisode actuel de pandémie COVID-19 ne peut qu’accentuer la tendance : le tiers-payant évite des manipulations d’argent ou de chèques (et de stylo !) et donc diminue les risques de contamination, et a facilité l’explosion de la télémédecine.

Où sont les problèmes ?

Pour que tout le monde y trouve son compte, il faut que le médecin soit sûr d’être payé pour son travail.

Les Feuilles de Soin Electroniques (FSE) : théoriquement, ça ne doit pas poser de problème. Le décret 2016-1069 du 3 août 2016 et l’article 59 de la Convention sécurisent totalement les FSE en TP : 

Le paiement est garanti sur la base des informations inscrites dans la carte Vitale du patient et ce, même si ce dernier n’a pas mis sa carte à jour.

Si la CV n’est pas jour et qu’il y manque les informations nécessaire au TP, ADRi (Acquisition des DRoits intégrée) permet de faire une FSE avec des informations à jour et le même degré de sécurisation (c’est la moindre des choses puisque ce sont des informations issues directement des fichiers AMO) :

Lors de l’établissement de la FSE, le paiement reste également garanti si vous utilisez le service ADRi (acquisition des droits intégrée), avec la carte Vitale de votre patient, pour obtenir une situation à jour de ses droits depuis les bases de l’Assurance Maladie.

Si vous n’avez pas la possibilité d’utiliser ADRi vous pouvez consulter le site d’information des droits en ligne et « forcer » la FSE. Mais prenez soin d’imprimer les éléments affichés, car là vous n’avez pas de garantie de paiement.

Les Feuilles de Soin Dégradées (FSD) : elles ont été mises en avant par le boum de la télétransmission, même si techniquement les TCG ne sont pas de vraies FSD, mais des FSE transmises « sans Vitale » ce qui permet d’échapper à l’obligation de duplicata papier nécessaire aux FSD « classiques ».

Là aussi le meilleur moyen de sécuriser les choses est l’utilisation d’ADRi pour éviter les rejets de facture (même si les choses sont un peu simplifiées actuellement par la prise en charge dérogatoire des TCG en EXO 3 pendant la période de confinement). Ce qui fonctionne la plupart du temps … mais pas quand le régime n’est pas connu avec exactitude, surtout que beaucoup de patients en ont changé sans parfois le savoir (la MGEN a récupéré les fonctionnaires de l’ex-DDE, la CPAM les régimes étudiants, la MFP, la MGP, le RSI, mais avec des codes de centre de gestion spécifique … ce qui n’aide pas à s’y retrouver).

ADRi souffre toutefois d’un défaut structurel pour les FSD : il renvoie (et c’est bien normal) le code à 4 chiffres du centre gestionnaire. Mais en pratique dans un certain nombre de cas ce code n’est pas le bon … l’exemple le plus connu est celui du Régime Général pour lequel il faut le remplacer (manuellement) par 0000. Pour quelle raison ? mystère …

Pour les autres régimes et en particulier les caisses « exotiques » il faut se référer à la liste des centres payeurs du GIE Sesam-Vitale (1196 centres différents au 13/04/2020 tout de même !)

Les Feuilles de Soin Papier (FSP) : C’est souvent là que les choses coincent ; en effet si on fait une FSP c’est que le patient n’a pas de CV. Ou pas la bonne (en particulier pour les ayant-droits qui ne figurent pas toujours sur la CV de chacun des parents). Ou pas à jour (pour les nouveaux-nés par exemple). Et c’est justement là que le patient n’a pas non plus son attestation, et que l’informatique de la CNAM est aux abonnés absents.

Donc les rejets de FSP sont bien plus fréquents que les rejets de FSE.

En pratique, qu’est-ce qui « coince » ?

Alors quelques remarques préliminaires :

  • le plus souvent (99% des cas) rien ne coince, vous êtes payé, tout va bien ;
  • on peut très bien avoir un rejet et être payé quand même ; c’est variable, fonction sutout du degré d’autonomie et de la bonne volonté de la personne qui gère les TP (et peut-être aussi de votre réputation propre de mauvais coucheur) ;
  • on peut avoir un rejet juste pour une question de demande d’information et tout va se résoudre ensuite.

Mais quand ça coince vraiment ?

La facture est non conforme  : vous avez forcé le TP AMO + AMC pour un patient qui n’a pas la CMU, la C2S ou l’ACS, ou dont l’AT n’est pas déclaré. Là pas d’espoir, l’AMO ne vous paiera pas, vous êtes dans votre tort (administratif). Il ne reste plus qu’à essayer de vous faire payer par le patient.

Ou il y a un « bug » à l’AMO :

Petit florilège de messages de rejets chez moi : notez que j’ai la grande chance d’avoir des messages de rejet explicites et en français, après m’être vigoureusement élevé en Commission Paritaire Locale contre les acronymes incompréhensibles. Comme quoi il suffit parfois de demander pour être entendu.

Le patient n’est pas en ALD … ben si mais il a changé de régime et le régime précédent n’a pas été foutu de transmettre les informations ;

Alors là ce message m’énerve plus particulièrement. Quand un patient n’a ni CV ni attestation de CMU, ACS ou C2S, et que gentiment je lui fait le TP AMO et lui fais payer la part complémentaire, la CPAM refuse de me payer cette part AMO, et me demande de refaire ma facture (au mépris de la réglementation). Râlez et faites-vous payer !

Justification officielle :

Pour répondre à vos interrogations concernant l’origine de ces rejets, il s’agit du Décret n° 2015-770 du 29 juin 2015 relatif aux « modalités de mise en œuvre du tiers payant pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire et de l’aide au paiement d’une assurance complémentaire de santé », dont voici un extrait :
« L’organisme servant les prestations du régime de base de l’assurance maladie liquide la part des dépenses prises en charge respectivement par le régime de base et par l’organisme d’assurance maladie complémentaire. Il effectue le paiement au professionnel ou à l’établissement de santé de la totalité des sommes prises en charge. Il lui adresse un relevé des prestations commun à l’organisme servant les prestations du régime de base et à l’organisme d’assurance maladie complémentaire ».
Notre système attend donc une facturation TP AMO + AMC. Le rejet des factures nous permet de vous alerter sur la part complémentaire qui n’a pas été demandée et vous assurer que la somme versée soit la plus juste.

« Le patient n’existe pas ». Et pourtant je l’ai vu et l’ai examiné … mais il a le tort d’être un nouveau-né pas encore présent dans les bases de l’AMO … à un mois ! Je renverrai la facture plus tard …

Bon je n’ai pas mis la bonne mutuelle complémentaire … mais ils me payent.

Les dates d’AT de l’employeur et de l’AMO ne coïncident pas … mais ils me payent.

Le contrat ACS n’a pas un numéro conforme aux désidératas de l’AMO … mais ils me payent.

Pas compris … si je cote et surtout s’ils me payent, c’est que c’est conforme …

Pas compris non plus … je ne cote évidemment pas deux fois le même jour. L’ordinateur de la CPAM était ivre …

Celui-ci est un vieux message, la CA a disparu depuis 2 ans. Mais si ma patiente est en ALD, je l’ai fait prolonger … mais le service médical n’a pas transmis au service comptable.

La majoration MSH n’est pas autorisée en TP ! celle-là elle est bien bonne. D’ailleurs ils n’ont pas osé ne pas payer

Celle-là est rigolote aussi : absence de parcours de soins indiqué … pour une mineure de 10 ans non assujettie au parcours de soins et vue en garde ; et la majoration CRD force automatiquement le parcours de soin sur « Urgence » 

Celle-ci est presque excusable. Effectivement normalement TCG et MSH sont incompatibles … oui mais là on est dans le cadre de la dérogation COVID-19, toutes les consultations complexes sont compatibles avec la TC ou la TCG. C’est juste un agent qui ne s’est pas tenu à jour et un logiciel qui n’a pas été mis à jour à la caisse et enquiquine le médecin qui a correctement travaillé et coté.

 

Et là … l’ordinateur de la MSA a abusé du LSD…

Quelles pistes d’amélioration ?

Simplifier ! souvent les rejets de FSE viennent d’une incompréhension entre le médecin et l’AMO. Pour une raison simple : ils ne parlent pas la même langue. Il suffit de regarder la page « explicative » des codes d’exonérations qui correspondent aux différents cas du début de cet article pour être assuré qu’aucun médecin, jamais, n’y comprendra quelque chose. Donc les médecins facturent mal, les caisses rejettent, et tout le monde s’envoie des mots doux à la tête. On pourrait en faire un jeu : faire correspondre le numéro d’exonération à chaque cas de TP !

Communiquer ! Les messages en clair que la CPAM 50 inscrit sur les notifications de rejet sont facilement généralisables à toutes les caisses et sont beaucoup plus parlants que le tristement célèbre « MTM manquant en BDO ». 

Les Conseillers d’Assurance Maladie qui font le tour des maternités pour faire sortir les accouchées en PRADO pourraient être chargés d’inscrire systématiquement les nouveaux-nés sur les comptes des deux parents. 

Faire confiance ! L’obligation vexatoire de duplicata papier pour les FSD pourrait être supprimée, ce qui pourrait faire décoller cette procédure, accélérer le traitement des factures, et donc faire faire des économies. 

Rationaliser ! En faisant disparaître cette anomalie de traitement qui fait que le numéro de centre gestionnaire n’est pas forcément le même en FSE et en FSD. Et donc donne une raison de plus aux médecins de ne pas l’utiliser.

Faciliter le travail des remplaçants en permettant l’accès des services en ligne aux CPS de remplaçants et aux CPF des internes et remplaçants non thésés. Et même aux CPE des secrétaires qui peuvent faire des factures au cabiets, mais pas les TCG qui nécessitent la consultation d’ADRi pour être sécurisées !

Rationaliser encore en confiant l’AMC à l’AMO. Il est notoirement connu que les caisses AMO ont un taux de frais de gestion ridicule par rapport aux Assurances Maladie Complémentaires qui se font appeler « Mutuelles ». Mais là j’ai bien peur qu’on arrive à de la douce utopie, tant le lobbying politique des « mutuelles » est important en France.

Et une petite touche de taquinerie pour finir : le message que je préfère parmi tous ceux que je retrouve régulièrement dans ma boite aux lettres :