La saga des certificats de non contre-indication (au sport)

Au tout début il n’y avait rien. Celui qui voulait faire du sport s’inscrivait dans un club, payait sa licence et son équipement, et s’adonnait à son loisir sans aucun contrôle.

C’était bien évidemment inacceptable ! Vint donc la Loi n°84-610 du 16 juillet 1984 et son article 35 régulant les compétitions :

La participation aux compétitions organisées par chacune des fédérations visées à l’article 16 est subordonnée à la présentation d’une licence portant attestation de la délivrance d’un certificat médical de non-contre-indication à la pratique de la discipline concernée ou, pour les non-licenciés, à la présentation de ce seul certificat médical pour les épreuves qui leur sont ouvertes.

C’était mieux, mais évidemment pas encore suffisant. Heureusement la LOI no 99-223 du 23 mars 1999 dite loi Buffet vint la compléter en 1999 en étendant l’obligation du certificat médical de non contre-indication (CNCI) à tous les licenciés, même hors compétition :

Article 5

La première délivrance d’une licence sportive est subordonnée à la production d’un certificat médical attestant l’absence de contre-indication à la pratique des activités physiques et sportives, valable pour toutes les disciplines à l’exception de celles mentionnées par le médecin et de celles pour lesquelles un examen plus approfondi est nécessaire et dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé des sports et du ministre chargé de la santé.

La délivrance de ce certificat est mentionnée dans le carnet de santé prévu par l’article L. 163 du code de la santé publique.

Article 6

La participation aux compétitions sportives organisées ou agréées par les fédérations sportives est subordonnée à la présentation d’une licence sportive portant attestation de la délivrance d’un certificat médical mentionnant l’absence de contre-indication à la pratique sportive en compétition, ou, pour les non-licenciés auxquels ces compétitions sont ouvertes, à la présentation de ce seul certificat ou de sa copie certifiée conforme, qui doit dater de moins d’un an.

Las ! L’afflux de sportifs amateurs en septembre embolisait les consultations des généralistes surchargés, gênant la prise en charge des malades, pour un bénéfice somme toute au mieux modeste. Le CNCI n’est là que pour prévenir principalement la mort subite du sportif (600 à 1200 cas par an) et n’a évidemment aucune incidence sur l’accidentologie (900000 accidents sportifs par an en France dont environ 250 décès). Il fut donc décidé de simplifier. 

On vit donc arriver le Décret n° 2016-1157 du 24 août 2016 qui fit passer à 3 ans la durée de validité des licences (sous réserve d’absence de pathologie dans l’intervalle), admit la possibilité de faire des CNCI pour « toute activité sportive », et mit en place l’abrogation de la nécessité de CNCI pour l’UNSS ou le sport périscolaire ou les activités sportives récréatives sans compétition et hors fédération sportive constituée. Une vraie simplification ? Que nenni ! Car d’une part les associations ont hurlé à la mort qu’elles ne pouvaient prendre une telle responsabilité, et ont donc obtenu la possibilité de continuer à exiger l’indispensable sésame médical ; d’autre part certains sports « à risque » ont continué de nécessiter un examen annuel et pour certains des examens ciblés précis ; et enfin les sportifs du dimanche désirant compétiter sans adhérer à une fédération étaient toujours soumis à l’exigence du CNCI annuel. Ça devenait donc un casse-tête pour s’y retrouver ! 

Mais ce n’était pas fini. Les conditions d’examen, en particulier pour la boxe (examen optalmologique annuel) et le rugby (ECG tous les 3 ans dès 12 ans et test d’effort après 40 ans) ont fait chuter le nombre des licenciés de ces deux disciplines, à cause de la difficulté et le coût de ces examens, et de l’image de dangerosité qu’ils véhiculent. Le lobbying a fait son œuvre et l’Arrêté du 9 juillet 2018 est venu remodifier les choses. Exit l’obligation d’ECG et d’épreuve d’effort pour les rugbymen, et l’examen ophtalmologique pour les boxeurs amateurs passe à une fréquence de tous les deux ans. On se demande un peu sur quels arguments médicaux des examens jugés indispensables en 2016 ne le sont plus en 2018 … Nous noterons quand même qu’il faut toujours « apporter une attention particulière sur l’examen cardio-vasculaire et sur la surveillance du bilan biologique glucido-lipidique », mais sans aucune notion chiffrée de ce qu’il faut en faire. À partir de quel chiffre de glycémie ou de cholestérolémie un rugbyman n’est-il plus apte ? on ne sait pas ! À moins que ce ne soit en lien avec les 3èmes mi-temps plantureuses du Sud-Ouest ?

Alors où en est-on en 2019 ?

  • Je peux théoriquement établir un « certificat de non contre-indication à la pratique sportive en compétition » … sauf que la plupart des fédérations refusent ce libellé et exigent la mention de LEUR discipline sur le CNCI, quand elles n’exigent pas qu’on remplisse LEUR imprimé (à la main alors que la majorité des médecins est maintenant informatisée)
  • La validité de 3 ans pour les licenciés semble quand même être entrée dans les mœurs, sauf que …
  • La Fédération Française de Danse a décrété qu’elle ne relevait pas du Code du Sport mais du Code de l’Education et a exhumé un décret de 2008 pour continuer à exiger un examen annuel. Tout le monde sait bien que la danse, surtout en amateur, est une activité particulièrement dangereuse !
  • Quand un patient me demande un CNCI pour le relais communal de course à pied de 3 km qui se court entre copains, il peut aussi l’utiliser pour faire un marathon ou même un raid de 100 km, ce qui n’est tout de même pas tout à fait la même chose
  • Il est en France obligatoire d’avoir un CNCI pour participer à un concours de pétanque, ou même un tournoi d’échecs, puisque la Fédération Française d’Échecs est une fédération sportive
  • Rien n’interdit à celui à qui vous avez refusé un CNCI (4 cas pour ma part en 25 ans d’exercice) d’aller courir tout seul sur la voie verte, loin de tout secours et de tout défibrillateur, de retourner ses 500 m2 de jardin à la bêche par 40° à l’ombre ou d’aller escalader le Mont-Blanc en tongs
  • mais le moindre club de gymnastique douce ou de danse de salon peut exiger un CNCI de ses adhérents
  • et on assiste à une multiplication des CNCI trafiqués par PhotoShop ou même complètement contrefaits

On m’objectera que le but est tout de même de sauver des vies. Certes. Pourtant 13 au moins des 28 pays de l’Union Européenne ne réclament pas de CNCI pour la pratique sportive, sans qu’ils semblent souffrir d’une quelconque surmortalité à ce niveau.

Pour sauver des vies, il semblerait plus efficace de former massivement les sportifs et les éducateurs sportifs au massage cardiaque externe, d’équiper massivement les lieux sportifs de défibrillateurs automatiques, et de répéter les messages incitant à intervenir en cas de problème plutôt que de rester les bras ballants en attendant les secours.

On m’objectera aussi que c’est souvent la seule occasion de voir les jeunes adolescents, qui n’ont plus de vaccination obligatoire après 11 ans et sont souvent en parfaite santé … sauf qu’il y a des dépistages à faire, des dos à examiner, des messages de prévention des addictions et des MST à faire passer, la contraception à évoquer, etc …

Mais tous ces excellents motifs de consultation n’ont pas vraiment leur place dans une consultation de CNCI, qui est déjà en soi assez longue (et non remboursable rappelons-le).

Il serait de loin préférable d’y consacrer les nouveaux examens de santé des 8-9 ans, des 11-13 ans et des 15-16 ans, mais en leur accordant le montant qu’ils mériteraient alors, celui d’une Consultation à Fort Enjeu de Santé Publique comme le COE, et donc honorés de même 46 €.