Secret médical et assurances

Le CNOM a récemment fait une mise au point sur le secret médical dans le cadre des relations entre les médecins traitants et les compagnies d’assurance et leurs médecins-conseil. Cette mise au point s’ajoute à l’article général sur le secret médical, tous deux sont très bien faits et je vous invite à les lire attentivement.

Mais s’il n’y a qu’une phrase à retenir, c’est celle-ci :
Le médecin traitant n’a pas à remplir, signer ou contresigner un questionnaire de santé.

Contrairement à ce que les assurances voudraient bien nous faire croire, le secret partagé ne s’applique pas, puisqu’il n’y a en l’occurrence aucune relation de soin, mais seulement une relation commerciale.

C’est une affaire privée entre l’assuré et l’assureur, le médecin traitant n’a aucune part à y prendre.

D’ailleurs les assureurs eux-mêmes ne s’y trompent pas, et quand ils conseillent leurs clients médecins assurés au titre de la RCP, ils leur écrivent de ne rien remplir.

Les questionnaires pour obtenir une assurance

Le questionnaire de santé préalable à la souscription d’un contrat d’assurance n’est à remplir que par le candidat à l’assurance et l’assureur ne peut pas exiger que ce soit son médecin traitant qui le remplisse (article L113-2 du code des assurances)

L’Ordre rappelle que le rôle du médecin est d’éclairer au mieux le patient sur la nécessité de déclarations complètes et sincères et de l’aider dans ses démarches.
Il peut l’assister dans le remplissage du questionnaire de santé et doit lui remettre, à sa demande, copie des éléments du dossier médical en main propre contre récépissé. Il n’appartient pas au médecin de remplir, signer ou contresigner le questionnaire de santé.

Le fait pour un médecin de signer ou contresigner le rend responsable au même titre que le patient de la véracité et de l’exhaustivité de la déclaration, alors même que même le patient ne peut délivrer le médecin du secret médical

Le prétexte de la loi Kouchner

Les assureurs prétendent régulièrement que la loi Kouchner oblige le médecin traitant à fournir toutes les informations qu’ils demandent.

Or la Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, a seulement créé l’article 1111-7 du Code de la Santé Publique, qui mentionne expressément :

Toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées et ont contribué à l’élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou d’une action de prévention, ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d’examen, comptes rendus de consultation, d’intervention, d’exploration ou d’hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l’exception des informations mentionnant qu’elles ont été recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers.

On notera au passage que la loi définit très précisément ce qui fait partie du dossier médical, et que les notes de consultation n’en font pas partie.

La loi précise bien que le dossier ne peut pas être refusé au patient majeur et capable, mais en aucun cas ne mentionne une quelconque obligation pour le médecin de remplir un questionnaire fourni par l’assurance, contrairement aux courriers souvent envoyés par les assureurs (exemple ci-dessous)

Un cas pratique de chantage habituel des assurances :

M. D… a contracté un prêt pour acheter une voiture.
Il est arrêté pour une sciatique hyperalgique, puis finalement mis en invalidité par le service médical de la CPAM.
Les faits sont donc simples : M. D… ne peut plus travailler, l’assurance devrait donc prendre en charge le remboursement du prêt, les feuillets d’arrêt de travail puis la notification de mise en invalidité prouvant à l’évidence l’arrêt d’activité.

Mais l’assureur veut plus : il lui faut l’intégralité des antécédents, traitement, dates d’arrêt de travail, en rapport ou non avec la pathologie actuelle.

En dehors du fait qu’il exige là un travail important, gratuit, et que je n’ai pas forcément connaissance de tous ces éléments, à quoi peuvent-ils bien servir ?
  A alimenter les bases de données des assureurs
  A trouver une raison de ne pas payer l’assuré.
Au passage, il inverse les rôles : c’est moi le méchant qui par mon obstruction fait que l’assureur ne peut pas payer, malgré le désir qu’il en a.

Par principe de toute façon, il ne faut pas répondre.

La clause qui permet à l’assureur de ne pas payer en cas de non-réponse du médecin équivaut à une clause qui dirait que l’assureur ne paye pas si le médecin refuse d’aller braquer la banque à côté : ils exigent un délit de la part du médecin !

Article L.1110-4, alinéa V du Code de la Santé Publique :
Le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

De plus vous avez toutes les chances d’être perdant :
Si vous déclarez une pathologie « oubliée » par l’assuré, l’assureur ne paye pas, et l’assuré peut se retourner contre vous pour rupture du secret médical
Si vous « oubliez » aussi une pathologie pour obliger votre patient, vous vous rendez coupable de complicité de fraude, et l’assureur peut vous assigner aussi bien que l’assuré (et avec plus de profit, les médecins étant plus souvent solvables).

Liens utiles

Pour aller plus loin sur le sujet du secret médical, faites donc avec Excellensis-A2FM l’excellent module sur le secret médical de notre consœur Isabelle Luck :