Pourquoi il est possible de sauver l’hôpital

Le journal L’express condamnait récemment notre système de santé sous la plume d’une journaliste qui expliquait en titre : «  Pourquoi il est impossible de sauver l’hôpital » !

La santé dans notre pays « marche sur 2 jambes  », il n’y a pas que l’hôpital, même si celui-ci absorbe plus de 50% du budget, il y a aussi la médecine libérale et les établissements privés de santé. Sans eux l’hôpital n’est rien et chaque patient a un parcours de santé avant et après une hospitalisation. L’hôpital et la médecine de ville sont « condamnés » à vivre ensemble ou à disparaître ensemble !

Un adhérent, médecin libéral a transmis cet article consultable également en ligne à la FMF (Fédération des Médecins de France). Il pense, et nous partageons son avis, que ce constat est à la fois partiel, biaisé et emprunt de pessimisme.

J’ai l’habitude d’écrire que la France a la médecine qu’elle mérite, et je vais essayer d’en expliquer les raisons alors que la crise que nous vivons était annoncée, donc prévisible depuis 40 ans.

Quand je me suis installé dans les années 80 on ne manquait pas de médecins, il y avait même pléthore parait-il, et pour survivre les jeunes n’avaient d’autre choix que d’enchaîner les gardes de week-end ou la nuit avec des journées de travail, dans l’indifférence de la société, si ce n’est que les responsables politiques attribuaient le déficit de la sécurité sociale à ce sureffectif, « l’offre créant la demande  » selon leur diagnostic. L’évolution des comptes sociaux depuis 40 ans a montré leur incompétence d’analyse en la matière !

Seul le nombre de médecins supposés « en trop  » les départageaient, 20 000 pour les uns et 30 000 pour les autres. J’avais entrepris alors avec les responsables de la coordination lyonnaise (COMERLY) le tour des responsables politiques et leurs réponses étaient affligeantes : de celle du responsable de la santé au PS qui me traita de « communiste » parce que j’avais avancé que le financement de la sécurité sociale ne pouvait fluctuer au gré de cotisations prélevées sur les seuls revenus du travail ! Ce que nous proposions n’était autre que la CSG avant l’heure, que Michel ROCARD introduira quelques années plus tard… À celui de l’UDF, pourtant en charge de la santé, qui hurlait en frappant son bureau de l’Assemblée que nous n’y comprenions rien, que tout était du à l’excédent de médecins !

On allait donc payer des médecins afin qu’ils partent à la retraite avant l’heure (En 1997 le MICA proposait 240 000 F bruts, soit 36 587 €, aux médecins dès 56 ans pour cesser leur activité : https://www.liberation.fr/futurs/1997/02/13/les-medecins-liberaux-pousses-a-la-retraite-une-prime-annuelle-de-260-000f-les-incitera-a-cesser-leu_197043/) et limiter drastiquement la formation des futurs médecins par un numérus clausus déconnecté de façon irresponsable de la pyramide des âges des médecins en exercice et surtout des besoins en santé publique de notre pays.

On a d’abord formé des généralistes par l’échec (ceux qui ne pouvaient aller vers des spécialités), et des spécialistes dont ne nombre ne dépendait pas des besoins en santé publique du pays mais du nombre de places d’internes nécessaires pour faire tourner les services hospitaliers ! On a ainsi connu les pénuries en gynécologues, ophtalmologues, dermatologues… avant que la pénurie ne devienne généralisée.

On écartait avec le numérus clausus de potentiels futurs médecins bien formés en France, plutôt sur des matières éloignées de la médecine, du sens clinique et des sciences humaines, pour ensuite accueillir des médecins étrangers formés à l’est de l’Europe au Maghreb ou en Afrique, avec des hôpitaux trop contents d’avoir une main d’œuvre corvéable sous-payée, à la manière de certains employeurs avec les immigrés.

Parallèlement la médecine s’est féminisée avec des consœurs à la fois médecins et mamans ne pouvant consacrer 80 heures hebdomadaires à la médecine et devant se partager entre travail et famille. Nombre de cabinet de MG ont été repris par 2 consœurs se partageant l’activité.

La responsabilité des politiques se situe également au niveau de l’exercice de la médecine : il n’ont eu de cesse de dénigrer les professionnels, les taxant de « nantis » jetant en pâture devant l’opinion publique leurs revenus en omettant sciemment de préciser qu’il s’agissait de rémunérations brutes auxquelles il fallait retrancher des charges devenues toujours plus lourdes et en tout cas supérieures à 60% des recettes ! Ils ont également alourdi « la barque  » de l’exercice libéral en multipliant les contraintes, les contrôles (d’activité : art. L.315, délit statistique : art. L.162-1-15) et les contraintes administratives se déchargeant sur les professionnels de santé par exemple de la facturation via la télétransmission. Un exemple emblématique, la loi de santé du 13 août 2004 prévoyait déjà les sanctions pour les médecins généralistes qui ne rempliraient pas le DMP alors que celui-ci n’était pas encore déployé !

Il n’est alors pas étonnant que les jeunes médecins fuient le secteur libéral pour le salariat, et le choix de ce secteur à l’installation enregistré par l’Ordre est très parlant, annonçant depuis très longtemps la pénurie libérale (voir le schéma ci-dessous avec le choix du secteur libéral en BLEU) :

Qu’ont fait les responsables politiques face à ce constat ? RIEN

Puis éclata le conflit des gardes : le code de déontologie repris dans le code de la santé publique précise à l’art 77 (art. R4127-77 du code de la santé publique) « Il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et des règlements qui l’organisent » mais comment imposer à des professionnels qui travaillent déjà beaucoup des gardes de nuit ou week-end sachant qu’ils ne bénéficient pas d’une indemnisation pour un repos compensateur ? Sous la pression du mouvement des coordinations la loi a précisé que la participation à la garde se faisait sous le régime du volontariat : « Les médecins participent à la permanence des soins et à l’activité de régulation sur la base du volontariat. » ‪Art. R.6315-4 du code de santé ‪publique

Les libéraux participent à la Permanence des Soins (PDS) à la fois comme régulateur dans les SAMU (où ils bénéficient d’un statut de « service public ») et comme effecteurs sur le terrain où, bien qu’exerçant une mission de « service public », la PDS, ils le font sous la protection de leurs assurances privées (RCP, Prévoyance, voiture…) !

Il y a également les « urgences non programmées  » qui ne sont en fait pas de vraies urgences mais des demandes de soins devant être satisfaites dans la journée ou les 48h pour des raisons médicales ou administratives (les pathologies ORL, digestives ou urinaires banales par exemple, le patient qui n’a pas pu aller travailler pour une raison médicale…) autrefois un généraliste arrivait à recevoir ces patients le jour même, mais avec la pénurie ce n’est plus le cas aujourd’hui et ces patients vont surcharger les urgences des hôpitaux qui ont des discours contradictoires et paradoxaux : ils s’en plaignent, demandent régulièrement des rallonges budgétaires mais en vivent avec des « primes » au nombre de passages (tous les 2 500 je crois), en re convoquant les patients, en assurant le remplissage de leurs services et avec le SAS (Service d’Accès aux Soins) en recevant même 60 € par patient réorienté vers la médecine libérale ! Sauf que le refus de partager ces « primes » avec les libéraux qui se rendraient disponibles pour cela est en train de faire capoter le dispositif.

La génération « Y » et les 35 heures : j’ai mis en avant précédemment la féminisation pour expliquer la diminution du temps de travail médical aujourd’hui des médecins mais les hommes ne souhaitent également plus travailler 60 à 80 heures comme leurs aînés.

Par ailleurs l’assurance maladie comparant statistiquement les médecins pour juger du bien fondé des leurs prescriptions (« délit statistique ») ils n’ont pas intérêt à avoir une activité hors norme, avoir « la tête qui dépasse  » comme la Cellule Juridique de la FMF le leur signale régulièrement.

La délégation de tâches, les IPA (Infirmières de Pratiques Avancées), la télé médecine, sont des aides sans plus, rien ne peut totalement remplacer un médecin en présentiel parce que soigner c’est ÉCOUTER, EXAMINER, DIAGNOSTIQUER et si possible TRAITER. Seul un médecin après de longues études est en mesure de poser un diagnostic.

L’hospitalisation publique et privée souffre de la tarification. Il est déjà anormale qu’elle ne soit pas identique et qu’à acte chirurgicale équivalent la rémunération ne soit pas la même (d’où les demandes de compléments d’honoraires dans le privé).

Il est également anormal que la rémunération d’un acte ne couvre pas les frais nécessaires à la réalisation de cet acte. Exemple, du fait des maladies à Prions il est demandé d’utiliser du matériel à usage unique pour certains actes, comme l’amygdalectomie. Aucun fournisseur ne peut proposer le matériel pour un coût inférieur à celui de la cotation de cet acte ! Il n’est donc pas possible de le réaliser dans le privé sans complément d’honoraires.

A l’hôpital public, la tarification à l’acte T2A, privilégie les actes « lucratifs » en délaissant les autres, voire incite à ne plus pratiquer certains actes non rentables.

Au niveau du personnel, l’hôpital a bénéficié de l’attrait du salariat mais aujourd’hui il a du mal à recruter, les salaires étant trop déconnectés du coup de la vie notamment dans les grandes villes et il ne peut « tenir » que grâce aux médecins contractuels, et/ou étrangers sous-payés, aux intérimaires et de plus en plus aux « mercenaires » qui voient là un phénomène d’aubaine pour travailler peu avec une forte rémunération.

Le malade « système de santé en France  » est-il pour autant incurable ?

NON s’il y a une véritable volonté politique pour le sauver,

NON si un « plan Marshall » est décidé pour le secteur de la santé en lieu et places des mesurettes précédemment adoptées,

NON si les pouvoirs publics prennent d’urgence les décisions indispensables pour sauver notre système de santé :

  • Augmentation du numérus clausus, cela a été fait, mais trop tard et va demander 10 ans au bas mot pour apporter une amélioration : rendez-vous en 2030-2035. Mais d’ici là ?
  • Définir le nombre de praticiens à former dans chaque spécialité en fonction des besoins en santé publique du pays.
  • Abandon de la T2A et uniformisation des rémunérations public/privé.
  • Salaires et honoraires des professionnels à la hauteur de leurs compétences et responsabilités ; et cela concerne tout le personnel de santé autant dans le public que dans le privé sans oublier les revalorisations. Je pense par exemple aux frais de déplacements des professionnels de santé (IK pour les IDE, kinés, médecins) qui ne l’ont pas été depuis des dizaines d’années ! Les conséquences sont par exemple qu’en ville les médecins ne se déplacent plus, un professionnel ne pouvant pas travailler à perte.
  • Rendre à nouveau attractif l’exercice en libéral qui est devenu un repoussoir pour les jeunes. Le professionnel libéral doit pouvoir vivre dignement avec une durée de travail comparable qu’il soit salarié ou libéral.
  • Organiser la coopération ville-hôpital en rémunérant cette coordination pour les 2 partenaires.
  • Enfin, Promouvoir et financer la prévention : certes cela va avoir un coût initial, mais cela engendrera des économies par la suite, c’est le principe de l’investissement.

Les responsables peuvent donc encore « sauver le malade » s’ils en ont la volonté et débutent enfin la réanimation !

Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, LYON, CELLULE JURIDIQUE FMF