Maltraitance des mineurs : obligation ou possibilité de signaler ?

Cadre légal : une obligation conditionnelle 

L’article 226-14 du Code pénal autorise la levée du secret médical dans certaines situations, notamment :

  • Lorsqu’un médecin a connaissance de privations, de sévices ou d’atteintes sexuelles infligées à un mineur ou à une personne incapable de se protéger.
  • Si la révélation de ces faits est nécessaire pour protéger l’enfant.

L’article prévoit une obligation de signalement, mais elle est conditionnée soit à la gravité des faits constatés, soit à l’absence d’autres moyens de protection efficaces pour l’enfant.

Le Code de déontologie médicale et l’ordre des médecins insistent sur une approche mesurée, fondée sur les articles suivants du code de la santé publique :

  • Art R.4127-4 : Le médecin doit protéger l’enfant contre des dangers identifiés, même si cela implique de révéler des faits couverts par le secret médical.
  • Art R.4127-44 : Le médecin doit signaler les cas où un mineur est en danger, mais il doit veiller à agir en conformité avec la loi et le respect des droits des personnes concernées.

Ainsi l’Ordre donne la priorité à la protection de l’enfant, ce qui impose de signaler un danger imminent ou des faits graves ; au respect du secret médical qui reste une obligation fondamentale et donc sa levée doit être strictement justifiée ; et à l’évaluation des conséquences, en rappelant que le signalement doit être basé sur des faits avérés ou raisonnablement suspectés, et non sur des hypothèses infondées.

Du point de vue disciplinaire, la limite entre signalement et immixtion au sein desaffaires de famille, au sens de l’art R4127- 51 du code de la santé publique, est cependant ténue. L’Ordre recommande ainsi de privilégier, si possible, un signalement médical indirect, via les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ou en concertation avec d’autres professionnels (assistants sociaux, psychologues). Il considère que le médecin doit s’appuyer sur des faits objectivés et documentés, mais il peut signaler en cas de doute si l’intérêt supérieur de l’enfant est en jeu.

Le médecin, quant à lui, peut avoir une Obligation de signalement dans les cas de certitude, lorsqu’il a constaté lui-même des signes de maltraitance (traumatismes, négligences graves, abus sexuels), afin de protéger l’enfant. Lorsque le médecin ne dispose pas de certitudes, mais seulement de soupçons, il peut aussi signaler sans enfreindre le secret médical, mais cela reste une décision laissée à sa discrétion.

En pratique

La récente décision du Conseil d’Etat alimente encore le débat entre l’obligation (le devoir de signaler) et la possibilité (la faculté de signaler), tout en assurant une certaine immunité au médecin, tel que précisé au dernier aliéna de l’art 226-14 du code pénal : « […] Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi […] »

Parfois, les conseils départementaux de l’ordre des médecins (CDOM) se permettent « d’évacuer » de façon non réglementaire les plaintes entrant dans le cadre de l’article L4124-2 du code de la santé publique, protégeant les professionnels. Rappelons cependant que les CDOM ont obligation de réceptionner toutes les plaintes, d’organiser une conciliation et de les transmettre à la Chambre Disciplinaire de Première Instance en s’y associant éventuellement (article L4123-2 du code de la santé publique).

Pour éviter des dérives ou des erreurs dans le cadre des signalements, il est nécessaire de respecter quelques principes :

  • Respecter une démarche prudente et documentée via un signalement fait par écrit, détaillant les faits et observations constatés, puis adressé aux autorités compétentes (procureur de la République, services sociaux).
  • Utiliser des dispositifs existants, notamment des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) qui peuvent être mobilisées en cas de doute, ou dans le cadre de situations complexes. Ces structures permettent de relayer les signalements tout en bénéficiant d’un cadre d’analyse partagée.
  • Dialoguer avec les familles lorsque la situation le permet, afin d’engager une discussion et chercher une collaboration et une alliance thérapeutique et éviter une escalade.
  • Respecter des principes éthiques de base : ne jamais faire de faux signalement, ne pas être imprudent ou naïf, ne pas craindre outre mesure le risque de signalement infondé lorsqu’il est fait de bonne foi, et ne pas méconnaitre les risques encourus lorsque la vie ou la santé de l’enfant sont en jeu.

L’obligation ou la faculté de signaler des cas de maltraitance sur enfants, du point de vue du médecin et de l’Ordre des médecins, repose sur un équilibre délicat entre le devoir de protection, le secret médical, et les obligations légales et déontologiques.

Mais le médecin est tenu de signaler les cas de maltraitance avérés pour protéger l’enfant, au risque de manquer à ses devoirs déontologiques.

Drs Franck Clarot et Marcel Garrigou-Grandchamp – FMF Cellule Juridique