Les RDV de prévention, un bricolage bien mal parti !

L’article 29 de la LFSS 2023 prévoyait la mise en place « dès 2023 » des consultations de prévention aux 3 âges clés de la vie ; c’était un souhait du président donc une urgence extrême … mais la date de mise en place recule sans cesse.

Ça devait commencer « rapidement » dans les hauts de France, région pilote, mais patatras, le PLFSS 2024 (qui vient d’être « adopté » via l’article 49.3 par l’Assemblée nationale et doit maintenant passer devant le Sénat) intègre un amendement ministériel surgi de nulle part qui modifie la donne et oblige à repartir de zéro.

En effet, l’article 11 du PLFSS 2024 a été réécrit et propose désormais de nouvelles tranches d’âges: 18-25 ans (et non plus 20-25 ans), 45-50 ans (et non plus 40-45 ans), 60-65 ans et 70-75 ans. Donc on en modifie 2 (dont la tanche 45-50 ans qui devait inaugurer le programme) et on en rajoute une entre 70 et 75 ans.

Mais ce n’est que le dernier avatar d’un dossier mal ficelé depuis le début, sans concertation avec les professionnels de santé censés le mettre en musique.

Tout d’abord la « concertation sur le tarif » théoriquement conduite par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la direction de la sécurité sociale (DSS) n’a en fait jamais eu lieu et le tarif de 30 € pour 45 mn d’entretien a été fixé arbitrairement par décret. Ce qui fait un tarif brut horaire de 40 €. Quand la moyenne des généralistes effectue 3 consultations par heure soit 75 € (avant le 31/10/23) ou 79,50 € (à partir du 01/11/23) et que le tarif de l’heure de vacation de vaccination HPV (beaucoup moins difficile) est à 75 €.
On pourrait aussi comparer avec les bilans IRSA ou MSA dont tout un chacun peut bénéficier tous les 5 ans. En dehors du fait qu’on se demande pourquoi réinventer ce qui existe déjà, le prix de revient de ces bilans est d’environ 10 consultations standard (c’est assez difficile à trouver, quasi secret-défense, mais j’ai quand même réussi : 230 € il y a 10 ans, 250 maintenant !!) auquel il faut rajouter la rémunération du médecin traitant qui fait la synthèse : entre C1,5 et C2, soit de 34,50 € à 46 €. Toujours nettement supérieur au tarif qui nous est proposé. Comme s’il fallait qu’on fasse le job … au rabais.

Par ailleurs il est prévu semble-t-il de facturer en FSE. Mais avec quelle cotation ? Il n’y en a aucune dans la pourtant pléthorique NGAP qui corresponde à 30 €. Donc une nouvelle cotation ? et donc une nouvelle mise à jour des logiciels ? Au secours !

Sans compter qu’on peut se demander quels professionnels de santé vont pouvoir consacrer 45 mn à ces entretiens. Les médecins libéraux sont déjà sous l’eau et ne peuvent pas répondre à la demande de soins ; il manque 15000 professionnels qualifiés dans le monde pharmaceutique alors que les pharmaciens ont déjà beaucoup élargi leur champ d’intervention depuis 2 ou 3 ans, et que la deuxième année de pharmacie n’a pas réussi à faire le plein cette année ; les IDEL courent après le temps ; et les sages-femmes ne sont pas assez nombreuses pour assurer leurs missions.

Et pour le contenu, la concertation n’a pas plus été au rendez-vous. Oh il y a bien eu une réunion d’une heure le 26 juillet (en plein pendant les vacances) mais ça n’a été comme d’habitude que le déroulé du Powerpoint ministériel, qui ne reprenait aucun des points abordés lors des réunions de réflexion du CMG, et n’a pas été communiqué aux participants ensuite. Et malgré les nombreuses remarques de nos représentants, aucune d’entre elles n’a été prise en compte dans le projet final. On trouve même cette phrase magnifique dans le PowerPoint :

Et donc nos amis des Hauts de France ont eu le plaisir de recevoir les documents pour la tranche d’âge 40-45 ans, alors que ce sera désormais 45-50 ans (suivez bien c’est compliqué !)

Et la première chose qui vient à l’esprit c’est : « Mon Dieu 7 pages de documents ! »
Et oui à l’heure de la dématérialisation, des messageries sécurisées, de la norme HPRIM, des logiciels Ségur, des injonctions fortes au tout numérique, l’ARS, la CNAM et le Ministère de la Santé en sont encore au papier !

On comprend mieux pourquoi il faudra 45 mn, rien que pour lire, scanner, ranger dans les dossiers, puis synthétiser les informations.

Et sur le plan médical, est-ce pertinent ?

Je vous laisse découvrir le questionnaire, et je mets mes commentaires à la suite … page par page, parce qu’il y a beaucoup à dire !

 

Dans les antécédents, on parle de maladies cardio-vasculaires et  en exemple il y a le cholestérol … qui n’est pas une maladie, puis l’insuffisance rénale, qui n’est pas une maladie cardiovasculaire.

 

Pour beaucoup de ces questions on n’est plus dans de la prévention, mais dans du dépistage, voire du diagnostic. Or c’est censé être aussi à destination des pharmaciens et des IDE, qui ne sont pas formés au diagnostic. Que vont-ils faire de ces informations ? Surtout dans le cas où le patient n’a plus de médecin traitant ?

Là on parle enfin prévention. Sauf qu’évidemment on enfonce un peu les portes ouvertes. 45 ans c’est l’âge du rappel DTPolio(Coqueluche), boire, fumer et consommer des produits illicites c’est rarement bon pour la santé, et les IST sont une réalité.
Alors certes il est bon de répéter, répéter et toujours répéter, mais ne peut-on pas penser aussi que ces éléments ont DÉJÀ été évoqués en consultation par le médecin traitant ? Et que le patient peut aussi avoir des réticences à partager sa vie sexuelle avec un inconnu.
Quant aux questions sur les mammographies et le dépistage du cancer colorectal elles tombent comme un cheveu sur la soupe, puisque nous sommes dans la tranche d’âge 40-45 ans, donc AVANT l’entrée dans le dispositif du dépistage.

Enfin on aborde le VRAI sujet de ces entretiens, qui est normalement de s’attarder sur l’hygiène de vie. On peut juste se demander si ce n’est pas un peu directif de lier le manque de sommeil et les écrans. Ce sont des adultes et il y a tellement d’autres raisons de ne pas dormir « correctement ».

Et on attaque maintenant la partie à remplir par le professionnel de santé :

 

 

C’est mal parti dans l’esprit puisqu’on commence par calculer l’IMC qui est déjà un indicateur douteux et obsolète (tous les rugbymen de la coupe du monde sont obèses si on le suit) et on stigmatise le patient en le taxant d’obésité dès le début d’un entretien soit-disant motivationnel ! Ce n’est pas comme ça qu’on amène les patients à adhérer à nos propositions !

On mélange les antécédents du patient et ceux de la famille. Ça ne peut être que générateur de confusion.

Si un patient est suivi pour les maladies listées (et on répète que le cholestérol est une molécule et pas une maladie !), on n’est plus dans la prévention mais dans la réhabilitation, ce qui n’est plus du tout le même champ d’intervention.

Je pense que la plupart des patients ignorent la signification des termes « prédisposition génétique (BRCA1, BRCA2, …) » ou « polyadénomatose familiale ou Syndrome de Lynch » et que les quelques-uns qui ont eu une radiothérapie pour un Hodgkin seront bien en peine de préciser la dose dont ils ont bénéficié.

Enfin nous parlons de la tranche d’âge 40-45 ans. Combien nécessitent un dosage du BNP ou du NTproBNP à cet âge ? ou une hémoglobine glyquée s’ils ne sont pas diabétiques ? qui a une écriture assez petite pour mettre le résultat et la date sur la ligne EAL (ou alors on écrit OUI ou NON ?) ?

Est-ce un médecin DE TERRAIN qui a pondu ce formulaire ?

 

Même question d’ailleurs pour la case traitement, de la même taille microscopique que celle sur les certificats de décès où il faut écrire son nom, la date, signer et tamponner. On ne peut RIEN écrire d’intelligent sur cette ligne.

Et pour le reste :

  • Médicament ou association contre-indiquée : sommes-nous là pour juger les collègues ?
  • Vaccination effectuée : à part les pharmaciens, QUI a des vaccins dans son cabinet pour vacciner ainsi au débotté ?
  • Prescription pour le dépistage IST : les pharmaciens et les IDE ont-ils le droit de le prescrire ?
  • Dépistages de cancer : le patient est trop jeune pour rentrer dans un programme de dépistage, en dehors du frottis cervico-vaginal.
  • Le patient est essoufflé, il faut lui faire une spirométrie ! mais tout le monde n’en a pas, et les IDE, pharmaciens et sages-femmes n’ont pas la compétence légale pour ça.
  • Il boit, il faut lui faire un questionnaire FACE.
  • Il fume, il faut lui faire un Fagerström.
  • Il consomme du cannabis, il faut lui faire un questionnaire CAST. Et s’il consomme de la cocaïne, on fait quoi ?
  • Il semble déprimé, il faut lui faire un test d’évaluation.

On n’est plus sur 45 mn là, mais sur 1h30 ! et toujours pour la même rémunération de 30 € ??

A l’évidence, aucune de ces fiches n’a été relue ou supervisée par des professionnels qui travaillent véritablement sur le terrain. Alors même que toutes ces remarques ont été faite lors de la réunion du 16 juillet 2023.

 

Et enfin le Plan Personnalisé de Prévention, à rédiger de façon partagée, et dont la rédaction doit durer 20 mn.
Mais en fait, je ne sais pas forcément quoi mettre, en particulier dans les 3ème et 4ème colonne. Les ressources manquent cruellement chez nous, dans les 87% du territoire considérées comme des déserts médicaux.

 

 

Et enfin une question me taraude : que deviennent ces fiches à l’issue de la consultation de prévention ? elles sont détruites ? remises au patient ? envoyées au médecin référent ? envoyées à l’ARS ? envoyées à la CPAM ou à la MSA ? (pour les deux dernières hypothèses j’ose espérer que non évidemment).

Pourquoi ne pas avoir fait au moins une version « remplissable en ligne » ou « téléservice » pour qu’il reste une trace quelque part (le DMP du patient me semble tout indiqué, mais pas sous forme de scan d’un formulaire rempli à la main donc illisible).

Que fait le malheureux professionnel qui détecte une pathologie non suivie ? quelle sera sa responsabilité ?

Notons aussi pour rire qu’il s’agit dans les Hauts-de-France d’une expérimentation sur la période octobre-décembre 2023. Nous sommes en novembre et ça n’a pas démarré !

Donc si on résume :

La cible n’est pas bien définie.
La rémunération est indigente, pour ne pas dire insultante.
On n’a pas le personnel humain pour le faire.
L’intérêt médical tel qu’il nous est présenté est plus que douteux.
ÇA VA ÊTRE UN GRAND SUCCÈS À N’EN PAS DOUTER !