Les groupes de santé privés en France et les contrats d’exercice des médecins libéraux

Il existe 4 groupes de santé privés en France

Une présentation brève de ces groupes permettra d’informer le lecteur sur l’origine du capital de chaque groupe.

1 – Ramsay Générale Santé

124 établissements, 17% des parts de marché de l’hospitalisation privée générale dans le pays, 6000 médecins libéraux. C’est une filiale de l’australien Ramsay Health Care, groupe australien de cliniques privées coté en Bourse exploitant plusieurs établissements de santé dans le monde et le Crédit Agricole Assurances vie (Prédica) détiennent respectivement 50.91% et 38.40% des parts soit au total près de 90% du capital et des droits de vote de Ramsay Générale de Santé (hégémonie totale). (1)

2 – Elsan

Le deuxième groupe de cliniques et d’hôpitaux privés en France, possède 120 établissements de santé dont 97 cliniques MCO et 6500 médecins libéraux. Il représente 20% de l’activité de l’hospitalisation privée en France.
Elsan est détenu à 75% par le fond de « Private Equity » CVC Capital Partners, à 15% par ses deux co-fondateurs Jérôme Nouzarède et Michel Bodkier. Le dernier venu est depuis 2017, Tethys Invest, le fonds d’investissement de la famille Bettencourt (groupe L’Oréal), qui sera présent lui aussi à hauteur de 15%. (1)

3 – Vivalto Santé

Ce groupe, né en Bretagne, possède 32 cliniques et 1900 praticiens et fait exception en ayant développé un modèle original dite « 3ème voie » associant leurs praticiens et managers au capital dans un schéma de partage de gouvernance.

La société est détenue directement par 363 médecins à hauteur de 33% du capital du Groupe (ce pourcentage s’élevait à 40% en 2015) et 1.55% de managers, indirectement via la Holding Vivalto Santé (65%) dont l’assureur santé MACSF (18%), CDC International Capital (groupe caisse des dépôts) alliés à Mubadala, une société d’investissement appartenant à un émirat des Émirats arabes pour 24% et des fonds des banques Crédit Mutuel et BNP Paribas. (1)

4 – Almaviva

Le 4ème groupe de cliniques privées appartiendra à hauteur de 60% à Wren House Infrastructure, fonds soutenu par le Koweït. Ces fonds, dont les investissements proviennent des fonds souverains du Koweït, détiendra 60 % de Bpifrance et devrait avoir une place au Conseil d’administration. (2)

Ces groupes sont structurellement soumis à un impératif de rentabilité, devant résister à une pression tarifaire de plus en plus forte. Cette nécessité de performance économique pousse ces groupes à améliorer sans cesse leurs processus productifs. (3)

Une pratique d’oppression et d’étouffement de la voix du médecin libéral

Depuis un moment nous observons fleurir à l’encontre de la médecine libérale une pratique d’oppression et d’étouffement de la voix du médecin libéral exerçant dans les établissements de ces groupes de santé privés. On ajoute les contrats précaires, et les tentatives d’achat des autorisations détenus par les médecins libéraux (radiothérapie, Oncologie etc.)
La régulation de la médecine libérale en France est régie par des conflits et les compromis qui se succèdent entre les acteurs du système de santé. La transformation de la médecine libérale tient à la fois « du hasard et de la nécessité », de la volonté politique et des contraintes économiques (3). 

Cependant on note que la crise sanitaire a permis aux établissements de santé privés de recevoir de l’aide de l’état permettant le redressement de beaucoup d’établissements en difficultés. (3) Néanmoins ce redressement a permis aux groupes financiers gérant ces établissements d’améliorer le rendement de leur groupe.

Pour permettre à l’ensemble des établissements de santé de faire face à leurs dépenses au moment où leurs ressources sont grandement affectées par la prise en charge de la pandémie, le ministère de la santé a annoncé le versement de plusieurs enveloppes d’aide aux hôpitaux et cliniques. (4) Elles ont vocation à compenser les pertes de revenus dues principalement aux déprogrammations d’actes pour permettre la mise en place des dispositifs d’accueil des patients contaminés par le covid 19. (4)

Depuis le redressement de leurs finances le comportement des établissements privés et surtout les groupes financiers cités ci-dessus, a changé. Ils ont commencé à dénoncer les contrats des médecins contestataires de la déprogrammation. Un des multiples exemples de cette oppression est la rupture du contrat du Président de la CME de l’hôpital Privé Drôme Ardèche (groupe Ramsay Santé). La raison déguisée de cette rupture de contrat est la contestation de la déprogrammation inutile. Cependant l’intéressé a entamé une action en justice. (5) On trouve d’autres exemples de rupture de contrats d’anesthésistes ou radiothérapeutes etc…, dans les autres groupes aussi.

Que dit la loi sur les contrats précaires ?

L’article 2 de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016[1] réformant le droit des contrats a confirmé la jurisprudence antérieure interdisant les engagements perpétuels et permettant aux parties d’un contrat à durée indéterminée d’y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter un délai de préavis prévu contractuellement, ou à défaut, en respectant un délai de préavis raisonnable. Deux décisions de jurisprudence très récentes précisent les modalités permettant de fixer le délai de préavis en cas de rupture d’un contrat d’exercice libéral entre un professionnel de santé et une clinique. (6)
Il est primordial que nos collègues comprennent que la signature d’un contrat avec un établissement est une étape très importante pour un jeune médecin. L’ordre des médecins ne cesse pas d’alerter les médecins sur la signature des contrats précaires.
Dans l’article en référence (6), on note que la cour d’appel a donné deux avis distincts sur les ruptures des contrats.
La cour d’appel, faisant application de son pouvoir souverain d’appréciation, décide de faire prévaloir l’usage existant au sein de l’établissement de santé sur le contrat type de l’Ordre des médecins pour fixer le délai de préavis de la rupture contractuelle entre un médecin libéral et une clinique aux motifs que :
« En l’absence d’un contrat écrit, le régime juridique de l’exercice prolongé d’un médecin au sein d’un établissement privé doit être regardé comme une convention verbale à durée indéterminée résiliable sans motif à la seule volonté des parties, sous réserve de l’abus de droit, et que, soumise aux principes généraux du droit des contrats, cette convention peut donc faire application des usages, le modèle ordinal étant à cet égard également une référence d’usage. Enfin, un usage ancien et connu des praticiens au sein d’un établissement prime nécessairement le modèle général proposé par l’Ordre des médecins ».
Dans un second arrêt, rendu par la cour d’appel de Limoges en date du 19 mars 2019[5], une polyclinique a rompu les liens contractuels avec un médecin anesthésiste qui, après avoir conclu un contrat d’exercice libéral, a exercé dans le cadre d’une société d’exercice libéral constituée avec deux de ses confrères.
Le professionnel de santé alléguait que le délai de préavis de dix-huit mois, stipulé dans son contrat d’exercice libéral devait s’appliquer, alors que la polyclinique sollicitait, sur le fondement de la caducité du contrat conclu avec le praticien personne physique et en l’absence de contrat écrit avec la SELARL, l’application d’un délai de préavis de six mois, conformément aux usages de la profession.
La cour d’appel de Limoges considère de prime abord que l’article R. 4113-1 du code de la santé publique interdisant à un professionnel de santé associé d’une société d’exercice libérale de cumuler cette forme d’exercice avec l’exercice à titre individuel, n’est pas d’ordre public, et qu’un contrat peut y déroger expressément, comme en l’espèce, écartant ainsi toute nullité du contrat d’exercice libérale pour ces motifs.
La juridiction en déduit que le contrat d’exercice libéral privilégié conclu entre le médecin et la polyclinique continue toujours d’exister malgré l’entrée du professionnel de santé au sein de la société d’exercice libérale et que, par conséquent, la polyclinique doit appliquer le délai de préavis de dix-huit mois prévu au sein du contrat d’exercice libéral privilégié (et fixé en fonction de l’ancienneté du praticien), et non pas le délai de préavis de six mois qui serait fondé sur les usages de la profession.
La cour a d’ailleurs précisé que le choix d’un professionnel de santé de ne pas poursuivre sa relation professionnelle avec la polyclinique pour partir exercer dans le secteur public ne saurait constituer une faute de nature à le priver, totalement ou partiellement, de son droit à indemnisation, du fait de la réalisation brutale du contrat d’exercice libéral.
Mais la solution aurait été certainement différente dans l’hypothèse où le contrat écrit entre le professionnel de santé et la clinique ne prévoyait pas expressément une dérogation à l’interdiction de cumuler un exercice individuel avec un exercice au sein d’une société d’exercice libéral, ou encore dans l’hypothèse d’un contrat écrit entre la société d’exercice libéral nouvellement rejointe par le praticien et la clinique prévoyant expressément un délai de préavis.
À titre d’exemple, une cour d’appel a pu considérer que la polyclinique devait respecter un délai de préavis de six mois conformément aux usages de la profession, puisque la société d’exercice libéral prévoyait dans ses statuts l’interdiction pour les professionnels de santé associés d’exercer à titre individuel en vertu de l’article R. 4113-1 du code de la santé publique (6).

Conclusion

Le choix d’un contrat d’exercice avec un établissement de santé est une étape cruciale lors d’une installation en libéral. Néanmoins le contrat type proposé par l’ordre des médecins garantie un minimum de protection pour le médecin et il doit impérativement remplacer les contrats précaires des grands groupes de santé.

Dr Bassam Al Nasser
Anesthésiste- Réanimateur
DU Douleur – Lariboisière – Paris Hypnose Médicale-IFH – Paris
DIU Tabacologie et aide au sevrage tabagique – Paris Sud
Clinique du Parc Saint Lazare 1 et 3 Avenue Jean Rostand 60000 – Beauvais – France
tél 33 (0) 3 44121515 Fax : 33(0) 3 44121616
balnasser@orange.fr

Références

1. https://viedebio.com/2020/02/28/cliniques-privees-lautre-eldorado-du-capital-investissement/

2. https://www.lefigaro.fr/societes/un-fonds-s-offre-les-cliniques-almaviva-sante-pour-1-5-milliard-20210726

3. Nicolas Da Silva et Maryse Gadreau, « La médecine libérale en France », Revue de la régulation [En ligne], 17 | 1er semestre / Spring 2015, mis en ligne le 17 juin 2015, consulté le 12 février 2022. URL : http://journals.openedition.org/regulation/11120 ; DOI : https://doi.org/10.4000/regulation.11120

4. https://www.leparisien.fr/economie/l-etat-debloque-plus-de-500-millions-d-euros-d-aides-aux-etablissements-de-sante-22-04-2020-8303835.php

5. https://www.francebleu.fr/amp/infos/faits-divers-justice/sale-ambiance-a-la-clinique-pasteur-de-guilherand-granges-1626814748

6. https://www.houdart.org/delai-de-preavis-lors-de-la-rupture-dun-contrat-dexercice-liberal/

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