Le remède universel au manque de médecins : augmenter leur temps de travail !

6 millions de français, dont 600000 en ALD, n’ont pas de médecin traitant.

Triste constat, dont les politiques et l’Assurance Maladie s’émeuvent régulièrement ; c’est d’ailleurs un sujet récurrent de TOUTES les commissions paritaires locales.

La solution (simple donc forcément fausse) facilement trouvée est : il suffit que les médecins prennent plus de patients dans leur patientèle médecin traitant.

Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et l’organisation des soins de la CNAM, l’a redit lors du dernier congrès de nos amis de MG France :

« L’Assurance maladie est convaincue par le modèle de médecin traitant ». Mais il faut que les généralistes prennent plus de patientèle : « en comptant les enfants, en moyenne, chaque généraliste prend 1 060 patients. Nous estimons qu’il faudrait qu’ils en prennent 1 200. » 

Sur le papier c’est facile. Mais dans les faits ?

En France chaque patient est vu en moyenne 6 fois par an. Soit 2 heures de travail par an. Donc 280 heures pour les 140 patients supplémentaires. Auxquelles il faut rajouter 10% de temps administratif (celui qui est généreusement estimé à 4 minutes par an par la CNAM), soit donc 308 heures de travail annuel supplémentaire. La durée légale du travail étant en France de 151,67 heures mensuelles, c’est grosso-modo 2 mois de travail équivalent temps plein que la CNAM demande à chaque généraliste de rajouter dans son planning.

Alors évidemment Mme Cazeneuve entend bien que ça ne puisse pas se faire aussi facilement. Et elle le dit aussi lors de cette même intervention :

Nous allons proposer une palette d’outils nationaux. Par exemple, nous sommes à peu près sûrs que le modèle d’assistant médical fonctionne. Il faut lever les verrous : pourquoi seraient-ils seulement accessibles en zones sous-dotées  ? N’y a-t-il pas trop de contraintes  ? Il faut trouver un modèle plus souple. Ce sera l’enjeu de la prochaine Convention médicale… 

Le modèle de l’assistant n’est effectivement pas la panacée universelle.

Prenons mon cas :

  • je suis en ZIP et pourtant je n’ai pas le droit à un•e assistant•e CPAM parce que, même si je suis en cabinet de groupe, je n’exerce pas dans un cadre d’exercice coordonné ;
  • j’ai une assistante que je ne peux pas subventionner parce que j’ai le tort de l’avoir embauchée 13 ans trop tôt ;
  • et si j’étais éligible je devrais encore augmenter ma patientèle déjà au-dessus de la moyenne, alors qu’un nouvel installé doit juste atteindre la moyenne départementale en deux ans.

En plus je vieillis, je fatigue, je n’ai pas forcément envie de me rajouter du travail pour augmenter mon taux d’imposition et cotiser plus pour une retraite dont je ne profiterai pas si je meurs à 64 ans de burn-out.

Il faudra donc examiner de façon particulièrement attentive les nouvelles propositions de la CNAM à ce sujet lors des négociations pour la Convention 2023.

Cependant il faut reconnaître que les propositions de Mme Cazeneuve restent mesurées et réalistes si on les compare à celles totalement hors sol de M. Bruno Rojouan, sénateur LR, qui propose une « coercition douce et consentie » (sic !) pour obliger les jeunes installés à aller 3 ans dans les déserts, de conventionner sélectivement les médecins, et de faire passer leur patientèle de 1200 à 2500 patients, donc de doubler leur activité. Ce qui est très inquiétant quant aux capacités de calcul de M. Rojouan (pourtant en charge des finances publiques nationales) : comme n’importe quel élève de primaire peut le calculer, si 50000 médecins généralistes libéraux prennent en charge chacun 1300 patients de plus, ça fait … 65 millions de patients supplémentaires qui trouvent un médecin traitant. Alors que « seulement » 6 millions n’en ont pas.

Mais cette tentation de « doubler » l’activité des généralistes n’est pas si novatrice : rappelez-vous les premières moutures des négociations de l’avenant 7 où la CNAM avait prévu de faire passer de 3 à 6 le nombre de consultations horaires des médecins.

Et c’est particulièrement savoureux au moment où la représentation nationale se plaint des horaires à rallonge des séances à l’Assemblée Nationale : les députés peuvent ainsi se rendre compte en personne de ce que ça implique d’avoir des semaines de 54 heures, de travailler le soir, le week-end, et donc peut-être réfléchir avant de demander à ceux qui en font déjà beaucoup d’en faire encore plus.

Et pour gagner utilement du temps médecin, nous avons déjà souvent fait des propositions … qui sont toujours restées lettre morte.