Dans un arrêt du 15 octobre 2024 (n°472072), le Conseil d’État (CE), en cassation d’un dossier disciplinaire d’appel, fait la distinction entre un signalement judiciaire ou administratif, et un certificat médical à propos de maltraitance sur mineur. Dans cette décision, le CE confirme un précédent arrêt du 19 mai 2021 (n°431346). Cette distinction est essentielle à connaitre, voici pourquoi.
L’obligation actuelle du médecin
Conformément à l’art R4127-44 du code de la santé publique, le médecin a l’obligation de signaler aux autorités judiciaires et administratives tous sévices ou privations sur mineur. Le médecin peut préciser tout ce qu’il a pu relever ou déceler lors de sa prise en charge. Ce signalement, qui n’est pas un certificat au sens de l’art R4127-76 du même code, peut comporter, outre les constatations médicales, la description des comportements et propos tenus par l’enfant, mais aussi par ses parents ou par les personnes les accompagnant.
Alors qu’un signalement peut faire état de tous les éléments utiles à l’évaluation et au traitement du dossier par l’autorité judiciaire ou administrative, un certificat concernant un mineur, remis notamment à l’un des parents, doit toujours se borner aux seules constatations médicales.
Contexte de l’arrêt récent du Conseil d’État
Mme F., pédopsychiatre, suivait un enfant dont la situation familiale était complexe. Elle a rédigé deux documents en 2016 :
- Un certificat médical le 1ᵉʳ mars 2016, mentionnant une situation de “violence intrafamiliale extrême” sans l’avoir personnellement constatée.
- Un courrier le 15 mars 2016 au procureur de la République, signalant la situation de l’enfant.
En 2018, face à un conflit avec le père de l’enfant et à l’absence de relais médical adéquat, elle a adressé un courrier le 3 décembre 2018 au juge des enfants pour l’informer de la situation.
Le père de l’enfant a porté plainte contre Mme F., reprochant la rédaction de ces documents. La chambre disciplinaire de première instance (CDPI) d’Auvergne Rhône-Alpes de l’ordre des médecins a infligé à Mme F. une sanction d’avertissement le 17 mars 2021. Cette décision a été confirmée par la chambre disciplinaire nationale le 18 janvier 2023. Mme F. s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État.
Contenu de l’arrêt du Conseil d’État
Le Conseil d’État a donc distingué deux situations, en considérant que :
- Le certificat médical du 1ᵉʳ mars 2016 a méconnu les obligations déontologiques en mentionnant une situation de “violence intrafamiliale extrême” sans l’avoir personnellement observée, contrevenant ainsi aux articles R. 4127-28 et R. 4127-51 du code de la santé publique.
- Le courrier du 3 décembre 2018 constituait un signalement aux autorités judiciaires au sens de l’article R. 4127-44 du code de la santé publique, et que dans les circonstances particulières de l’affaire, ce signalement ne constituait pas un manquement aux obligations déontologiques.
En conséquence, le Conseil d’État a annulé partiellement la décision de la chambre disciplinaire nationale en ce qu’elle rejetait l’appel de Mme F. concernant le courrier du 3 décembre 2018, mais a maintenu la sanction d’avertissement en raison du manquement lié au certificat médical du 1ᵉʳ mars 2016.
Analyse de l’arrêt
De façon classique, tout courrier médical était jusqu’alors assimilé, d’un point de vue disciplinaire, à un certificat. Or, dans l’arrêt récent du 15 octobre 2024, le CE a eu une appréciation « large » de la notion de signalement, et a considéré que le courrier adressé au juge des enfants pouvait être assimilé à un signalement, bien que ce dernier ne fasse pas partie des autorités signalées à l’art 226-14 du code pénal « auxquelles le médecin peut transmettre un tel signalement… » *
Une fois de plus, le CE confirme donc la jurisprudence initiée avec l’arrêt du 19 mai 2021 n°431352 , en considérant que l’information délivrée par le médecin au juge des enfants, déjà saisi d’un dossier, ne viole pas le secret médical.
Signaler a toujours été considéré comme « porter à la connaissance de » or le juge des enfants était déjà en charge de ce dossier et il peut donc paraître « abusif » de qualifier de « signalement » ce courrier, qui était en fait un complément d’informations.
Le législateur semble donc vouloir inciter (ou à tout le moins, ne pas décourager) les médecins à signaler les cas de maltraitance.
Cet arrêt clarifie donc les obligations des médecins en matière de signalement :
- Un certificat médical doit se limiter aux constatations médicales personnelles du praticien. Mentionner des situations non observées personnellement peut constituer un manquement déontologique.
- Un courrier adressé aux autorités judiciaires, même en l’absence de constatations directes, peut être considéré comme un signalement légitime si le médecin agit de bonne foi et dans l’intérêt de la protection du patient mineur.
Cette décision souligne donc l’importance pour les médecins de distinguer les documents fondés sur leurs propres observations et les signalements destinés à protéger un patient vulnérable, tout en respectant les obligations déontologiques.
*L’argumentaire du CE, alinéa 14 de l’arrêt est ici reproduit :
« Ainsi qu’il a été dit au point 3, le courrier du 3 décembre 2018 constituait un signalement aux autorités judiciaires au sens des dispositions de l’article R. 4127-44 du code de la santé publique bien que transmis aux juges des enfants, autorité qui ne figure pas parmi celles mentionnées à l’article 226-14 du code pénal auxquelles le médecin peut transmettre un tel signalement sans que sa responsabilité disciplinaire puisse être engagée pour ce motif, sauf à ce qu’il soit établi que le médecin a agi de mauvaise foi. Il résulte de l’instruction que ce courrier fait état d’un conflit aigu entre Mme F… et M. A… à propos de la prise en charge de l’enfant B… A… et avait pour objet d’alerter le juge des enfants d’ores et déjà saisi, en application de l’article 375 du code civil, de la situation de cet enfant, sur le risque imminent de rupture des soins médicaux dont il bénéficiait. Dans ces conditions particulières, ce signalement ne constitue pas un manquement aux obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 et R. 4127-51 du code de la santé publique cités au point 11. »
Drs Marcel Garrigou-Grandchamp et Franck Clarot – FMF Cellule Juridique