Sans aide, des cabinets médicaux libéraux vont mourir.

Auditionné devant la Commission des Affaires Sociales du Sénat, M. Nicolas Revel, directeur de la CNAM, a confirmé ce que nous savions tous, la baisse importante d’activité des cabinets libéraux, et le principe d’une compensation par l’Etat de cette baisse d’activité.

Il est évident que nous sommes d’accord avec ces deux points. Beaucoup moins avec les modalités envisagées. 

La CNAM part sur le principe d’une compensation (partielle) des charges fixes des cabinets médicaux, prenant en compte les aides éventuellement déjà versées (chômage partiel et indemnités journalières !) et la baisse prévisible des cotisations sociales (pour dans deux ans !) consécutive à la baisse d’activité (alors même qu’elle en bénéficiera aussi puisqu’elle paye une partie de nos cotisations sociales en secteur I). 

Rien ne va dans cette proposition :

  • compenser partiellement les charges fixes c’est tout juste éviter la noyade, et encore pas pour tout le monde ;
  • la CNAM se base sur les données de la DREES de 2017 (donc déjà plus de 2 ans de décalage) pour estimer les chiffres d’affaire, et surtout les charges, sur lesquelles elle n’a pas de visibilité ; les données des AGA(Associations de Gestion Agréées) seraient beaucoup plus pertinentes ;
  • elle estime le taux de charge « moyen » à 44% du CA. C’est méconnaître les disparités importantes au sein des cabinets en fonction des investissements, du personnel, et surtout du CA, car il est bien connu que les petits revenus ont des charges proportionnellement bien plus élevées ;
  • ça ne tient pas compte du fait que beaucoup de cabinets ont vu leur charges augmenter depuis la période COVID : équipements de protection, de désinfection, augmentation du budget ménage, du poste secrétariat (nous avons versé des primes à nos secrétaires, sans pouvoir les défiscaliser puisque les cabinets médicaux ne le peuvent pas faute d’accord d’intéressement possible)
  • rien n’est prévu pour les remplaçants ni pour les nouveaux installés ;
  • ça laisse présager encore un mécanisme long, compliqué, incompréhensible, une « usine à gaz » qui laissera tout le monde insatisfait avec une sensation de s’être fait avoir ; ou un mécanisme inégalitaire avec le même taux de charges autoritairement fixé pour chacun. 

Enfin surtout, oser dire qu’il faut « prendre en compte les revenus d’activité réalisée » pour éviter les « effets désincitatifs » est une insulte pour les médecins.

C’est passer sous silence que les médecins (du moins ceux qui en ont eu la possibilité matérielle) ont réorganisé leurs cabinets, leurs agendas, leurs procédures, leur personnel, pour pouvoir continuer à recevoir les patients avec le maximum de sécurité pour ces derniers. Mais pas pour eux-mêmes ! à ce jour ils sont 13 à l’avoir payé de leur vie, soit une mortalité 6 fois plus importante que celle de la population des moins de 75 ans. De même prendre en compte les IJ versées aux médecins malades c’est nier le sacrifice qu’ils ont fait de leur santé. C’est dire que les médecins qui ont continué à travailler ne l’ont pas fait avant tout pour leurs patients, mais par esprit de lucre. Nous attendons d’ailleurs toujours la traduction dans les faits de la promesse de l’Etat de prendre en charge le Covid en maladie professionnelle pour les soignants.

C’est aussi oublier qu’une part importante des cabinets médicaux libéraux ne fonctionne que grâce aux « cumuls emploi-retraite » : 10% des médecins en exercice, bien plus dans certains endroits (25% dans un département rural comme le mien, la Manche). Comme ils travaillent habituellement peu, leur ratio de charges est élevé : une partie d’entre eux va mécaniquement se retrouver en « faillite » et fermera pour ne pas continuer à travailler à perte, aggravant ainsi la pénurie médicale.

Et c’est d’autant plus anormal que les autres semblent bien mieux traités :

  • la FHP (Fédération de l’Hospitalisation Privée) a obtenu 1/12 de son budget annuel par mois de confinement ;
  • les praticiens hospitaliers ont obtenu une compensation au 1/12 annuel de leur « manque à gagner » de leur activité hospitalière privée (il est évident que quand on a des charges fixes nulles, leur compensation n’est pas satisfaisante) ;
  • le chômage partiel donne droit à 85% du salaire des salariés ;
  • avec cette nuance que le chômage partiel donne droit à 85% du salaire des salariés des secteurs hors santé, car ce n’est pas pour les salariés des cabinets médicaux (ceux-ci sont sensés avoir du travail). 

Alors même 

  • que les médecins à qui il a été intimé l’ordre, par l’Etat, de ne plus exercer depuis plus d’un mois se retrouvent sans aucun revenu, de la faute de l’Etat ;
  • que les interventions chirurgicales ne peuvent plus se faire car les respirateurs des cliniques ont été prêtés (et parfois les anesthésistes réquisitionnés pour travailler à l’hopital quelques jours par semaine) ;
  • que les charges et les loyers continuent de courir ;
  • que la CARMF n’a pas la latitude de se montrer aussi généreuse qu’elle le voudrait ; 
  • que l’URSSAF n’annule pas certains mois de prélèvement ;
  • que les organismes de crédit trainent les pieds pour repousser les mensualités ;
  • que les emprunts de trésorerie sont un piège pour nous.

Et pourtant de l’argent il y en a : la CNAM a constaté une baisse d’un demi-milliard de dépenses en moins chaque semaine sur les actes médicaux et paramédicaux !

Et rien n’empêche de mettre à contribution les assurances complémentaires, qui bénéficient de cette baisse des dépenses, d’autant plus que le volet téléconsultations de l’activité médicale est intégralement pris en charge par l’assurance maladie obligatoire, et n’ont jusqu’à présent rien proposé pour participer à l’effort national (alors que la MAIF par exemple a constaté une baisse de 100 millions d’euros de ses dépenses et décidé de les reverser à ses adhérents).

Pour pérenniser les cabinets médicaux libéraux, indispensables à l’état sanitaire de la France, et dont tous auront besoin après cette crise difficile, la FMF réclame donc une mesure équivalente à celle accordée à la FHP, aux praticiens hospitaliers ou aux salariés :

le versement d’un douzième du CA de référence des années précédentes pour chaque mois de confinement et d’activité réduite.


Les médecins n’ont pas besoin de défiler le 14 juillet. 
Ils ont besoin de vivre de leur travail et de payer leurs factures.