Le lien de causalité entre une pathologie et l’activité professionnelle d’un salarié sur un certificat médical est un grand classique des plaintes déposées au niveau des CDOM (Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins).
Pour se défendre face à un salarié, l’employeur ne va pas hésiter à y mêler le médecin qui aurait imprudemment manqué d’impartialité dans la rédaction d’un certificat d’arrêt de travail, que ce soit en maladie ou en AT/MP (Accident du Travail / Maladie Professionnelle). Il y a d’ailleurs là une certaine hypocrisie, le seul fait d’utiliser un formulaire AT/MP laissant supposer une relation avec l’activité professionnelle !
Le code de la santé publique précise en effet que :
- « La délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite » (article R.4127-28)
- « L’exercice de la médecine comporte normalement l’établissement par le médecin, conformément aux constatations médicales qu’il est en mesure de faire, des certificats, attestations et documents dont la production est prescrite par les textes législatifs et réglementaires. Tout certificat, ordonnance, attestation ou document délivré par un médecin doit être rédigé lisiblement en langue française et daté, permettre l’identification du praticien dont il émane et être signé par lui. Le médecin peut en remettre une traduction au patient dans la langue de celui-ci. » (article R.4127-76)
La HAS (Haute Autorité de Santé) conseille de son côté, dans ses recommandations de bonnes pratiques professionnelles, que pour le repérage du burn-out « dans l’intérêt du patient et avec son accord, il est indispensable qu’un échange ait lieu entre le médecin traitant et le médecin du travail » (Recommandation de bonne pratique, 22 mai 2017 : Repérage et prise en charge cliniques du syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out). Le médecin traitant, avant de faire mention du syndrome d’épuisement professionnel, devrait donc échanger avec son collègue Médecin du travail quant aux conditions de travail sans se contenter des seuls dires du salarié.
Les médecins étaient ainsi régulièrement condamnés à un avertissement, voire un blâme par les CDPI (Chambres Disciplinaires de Première Instance) avec confirmation des peines en appel au national, notamment pour la simple mention « BURN OUT ». Logique, sa traduction étant « syndrome d’épuisement professionnel » ! Au niveau des juridictions disciplinaires, c’est le CE (Conseil d’état) qui est en charge de la « cassation », et une abondante jurisprudence est là pour en attester, avec toutefois ces dernières années un effet « yoyo » des décisions du CE, à la manière d’une pièce en 3 actes.
Acte 1 : jusqu’en 2024, les médecins étaient régulièrement condamnés. Ainsi par exemple, dans un arrêt rendu le 6 juin 2018, le Conseil d’état a admis que les employeurs, dès lors qu’ils sont lésés de manière suffisamment directe et certaine par un certificat ou une attestation établie par un médecin du travail, peuvent introduire une plainte disciplinaire à l’encontre d’un médecin (CE, 6 juin 2018, n°405453). Le médecin du travail avait fait état de « pratiques maltraitantes » sans faire état de faits qu’il aurait pu lui-même constater. Le Conseil d’État avait ainsi confirmé la décision de sanction disciplinaire (avertissement) prise par la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins.
Acte 2 : en revanche, dans un arrêt rendu le 28 mai 2024, n°469089, le CE modifie son analyse en considérant que la seule référence à un burn-out n’est pas nécessairement de complaisance ? Ce qui est surprenant, la notion de « burn-out » étant connotée « professionnelle » même son origine peut être plurifactorielle. Dans cette affaire, le médecin traitant avait juste porté la mention « burn-out » sur les seuls dires du patient et pourtant le CE a annulé la sanction d’avertissement prononcée par la CDPI Grand Est et lors de l’appel au national en prenant soin de préciser :
- que « la seule circonstance que le médecin ait fait état de ce qu’il avait constaté l’existence d’un syndrome d’épuisement professionnel sans disposer de l’analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail ne saurait caractériser l’établissement d’un certificat tendancieux ou de complaisance au sens des dispositions de l’article R. 4127-28 du code de la santé publique ».
- mais également que « compte tenu de la sensibilité du sujet et du risque qu’un tel document soit utilisé un jour dans un conflit entre employeur et salarié, un document à la fois plus détaillé et plus prudent, faisant part du constat d’un syndrome d’épuisement et de ce que les dires du salarié le relient à son activité professionnelle, aurait à cet égard sans doute été plus approprié. »
Acte 3 : nouveau retour en arrière avec l’arrêt rendu le 23 janvier 2025 n°494065 par le CE. Dans cette affaire, le médecin avait précisé dans un certificat : « burn out en lien exclusif avec les conditions de travail … »
Voulait-il, par là, respecter la préconisation sus citée du CE : « un document à la fois plus détaillé et plus prudent » » ? La CDPI de Nouvelle Aquitaine avait infligé le 1er février 2021 la sanction du blâme au médecin. Le 11 mars 2021, le président de la chambre nationale avait rejeté l’appel du praticien, décision annulée par une ordonnance n° 452528 du 9 mars 2022, la présidente de la 4ᵉ chambre de la section du contentieux du Conseil d’État a annulé cette ordonnance et renvoyé l’affaire devant la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins. Par une décision du 5 mars 2024, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, statuant sur renvoi du Conseil d’État, a rejeté l’appel formé par M. B contre cette décision. Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 6 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le médecin demande au Conseil d’État d’annuler cette décision
- Aux termes de l’article L. 822-1 du code de justice administrative : « Le pourvoi en cassation devant le Conseil d’État fait l’objet d’une procédure préalable d’admission. L’admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux ».
- Pour demander l’annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins qu’il attaque, M. B soutient qu’elle est entachée d’erreur de droit en ce qu’elle juge que l’établissement de certificats médicaux portant la mention « burn out »« en lien exclusif avec [les] conditions de travail », sur la seule base des déclarations du patient, caractérise la délivrance de certificats tendancieux ou de complaisance au sens des dispositions des articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du Code de la santé publique. 3. Un tel moyen n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi.
Article 1er de la décision : Le pourvoi du médecin n’est pas admis.
En conclusion, les confrères devront s’attacher à rester factuels et mesurés en évitant tout lien entre la pathologie et le travail sur les certificats qu’ils délivrent aux patients et notamment ceux d’arrêt de travail. En effet, si le CE a bien admis le terme « burn-out » en mai 2024, il a aussi conseillé « un document plus détaillé et plus prudent » ce qui paraît totalement incompatible. Plus le médecin donne de détails et plus il risque de faire un lien avec ce qu’il ne pouvait personnellement constater !