Réponse au Manifeste d’Avenir Spé 2025

Il y a des lectures qui laissent songeur.
Le Manifeste d’Avenir Spé pour un meilleur accès aux soins publié en octobre 2024 mais remis en avant ces derniers jours en fait partie. Non par son ambition affichée, mais par ce qu’il dit à demi-mot, ce qu’il suggère entre les lignes et surtout… ce qu’il révèle d’un regard singulièrement réducteur sur la médecine générale.

Derrière les appels à la fluidité, à la coordination et à l’efficience, un coupable semble désigné : le médecin généraliste. Celui qui, dans ce texte, devient peu à peu un filtre inutile, un facteur de ralentissement, voire un risque sanitaire.

Le procès discret du médecin traitant : de “point d’entrée” à “point d’entrave”

Dès la page 19, le ton est donné : passer par le médecin traitant serait responsable de “retards de prise en charge”, “errance diagnostique”, “traitements inappropriés”, “soins non pertinents”, “dépistages tardifs”… jusqu’à provoquer une “perte de chance”.
Excusez du peu.

L’accès au spécialiste est érigé en solution miracle, avec un contournement assumé du parcours de soins. Le médecin généraliste devient un entonnoir, une embolisation du système, pour reprendre les termes choisis.

Une nouvelle ALD aurait pu naître de ce constat d’exposition prolongée à un médecin traitant. : Syndrome d’Entrave Initiale par Médecin Généraliste (SEIMG). Ce serait presque drôle… si ce n’était pas le reflet d’un réel mépris de notre fonction.

Le paradoxe de la prescription réservée `

Mais le manifeste franchit un pas supplémentaire en proposant de réserver certaines prescriptions aux seuls spécialistes : antidépresseurs, antidiabétiques, benzodiazépines et inhibiteurs de la pompe à protons. Oui, les IPP… Ceux-là mêmes que l’on trouve en vente libre dans toutes les pharmacies de France. Autant de traitements que le médecin généraliste prescrit et suit au quotidien, mais qui seraient désormais jugés trop complexes pour être initiés hors du giron spécialisé.

La médecine générale, pourtant spécialité à part entière, se verrait ainsi amputée de son autonomie décisionnelle au nom d’une expertise supposée exclusive. Or, la compétence n’est pas une question de hiérarchie mais de formation, de pratique, et surtout… de réalité de terrain. Ce projet de “prescription exclusive” n’est pas un progrès thérapeutique : c’est une tentative de déqualification des médecins généralistes

Des contradictions en série

Le manifeste alerte sur la pénurie de généralistes… tout en organisant leur marginalisation.
Il prône la coordination… tout en effaçant le coordinateur naturel.
Il revendique l’efficience… tout en valorisant un accès direct généralisé à des spécialistes déjà saturés.
Et il prétend “ne pas remettre en cause le rôle du médecin traitant”… tout en le contournant méthodiquement à chaque page.

Ce flou stratégique n’est pas une maladresse : c’est une ligne politique. Une vision centrée sur l’hyper-expertise, techniciste, verticalisée, et profondément déconnectée de la réalité du soin global.

La médecine générale est pourtant la seule spécialité à avoir une vision transversale, continue, populationnelle. Le seul métier à articuler urgences, soins non programmés, temporalités longues, prévention, vulnérabilités sociales.
Nous sommes les sentinelles du système. Celles qui voient avant les autres, qui relient, qui réorientent, qui tiennent ensemble les fragments.

Exclure le médecin traitant des nouvelles organisations territoriales, c’est priver le système de sa colonne vertébrale. C’est tenter de faire tenir une architecture sans ossature.

Une chaîne de soins sans maillon central ?

Ce que le manifeste esquisse, c’est un système où la médecine générale deviendrait périphérique. Un guichet d’orientation, un « renouvelleur » de traitements prescrits ailleurs, un figurant de parcours.

Mais un parcours de soins sans généraliste n’est pas un progrès. C’est une perte de repères, une rupture de continuité, et une régression sanitaire, démontrée par toutes les études internationales (références en bas de page).

Et pour cela, il faut des généralistes reconnus, soutenus, formés, présents. Pas marginalisés.

Travailler ensemble, vraiment

Il ne s’agit pas d’opposer médecine générale et spécialités. Le Référentiel métier de la médecine générale 2025 rappelle que le généraliste “coordonne les soins, les oriente, les adapte” et agit “en coopération avec les autres professionnels de santé”.

Dans un système complexe, la complémentarité est une force, à condition qu’elle ne s’exerce pas au détriment de l’un des maillons. Les spécialités ne sont pas nos concurrentes : elles sont nos partenaires et la médecine générale ne peut être réduite à un rôle périphérique sans fragiliser l’ensemble du dispositif.

Ce que nous défendons

La médecine générale n’est pas un obstacle. Elle est le socle, la boussole, le point d’ancrage. Une parole qui relie. Une médecine de la complexité

Elle seule peut articuler prévention, repérage, dépistage, orientation, suivi, synthèse.
Elle seule garantit l’équité d’accès aux soins, pour tous, en tout point du territoire.

Elle n’est pas l’ennemie de l’expertise. EIle en est l’alliée lucide

Mais quand un manifeste construit une vision de l’accès aux soins contre la médecine générale, alors il faut le dire : c’est une erreur stratégique, humaine, et politique.

Et nous, médecins généralistes, ne sommes pas les figurants d’un système de santé que d’autres veulent écrire sans nous.

Nous en sommes le pivot.

Et nous le resterons.

Frédéric Villeneuve, Médecin Généraliste, Président de la FMF-Gé

Références :