Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République
Monsieur le Président,
À la dernière Commission des Comptes de la Sécurité Sociale, ministres, sénateurs et députés se félicitaient tous du retour à l’équilibre des comptes sociaux de la Nation. Le déficit de l’Assurance Maladie était quasiment résorbé et le remboursement de la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES) se faisait au rythme de quinze milliards d’euros par an. La dette sociale allait être totalement effacée en 2024. Aucun de ces éminents représentants de la nation n’évoquait l’état désastreux de la démographie de la médecine libérale, pas plus que le délabrement des conditions de travail dans des hôpitaux auxquels il est demandé d’être rentable avec la fameuse tarification à l’activité (T2A), et auxquels on demande de rembourser leur dette de vingt-trois milliards. Tout ce beau monde institutionnel faisait penser à ces cancérologues des années 70’ qui n’avaient d’yeux que pour la tumeur mais pas pour le malade qui mourait, guéri de sa tumeur mais épuisé par le traitement…
Le système de santé français est pourtant gravement malade. Si on veut réellement le sauver, il faut arrêter de se focaliser sur le déficit financier.
Les Français ont le plus grand mal à trouver un médecin traitant. Les délais de rendez-vous s’allongent dans toutes les spécialités. Le mal-être hospitalier s’étale tous les jours, sous forme de grève ou de suicides, à tous les niveaux et dans toutes les régions. Les installations se font toujours plus tardives témoignant de l’insécurité ressentie lors de tels projets.
IL FAUT AUJOURD’HUI UNE RÉFORME DU NIVEAU DE CELLE DES ANNÉES 60
Il faut supprimer la concurrence entre la ville et l’hôpital.
Il faut stopper l’hémorragie démographique libérale.
Il faut définir clairement le rôle de chacun et investir massivement et rapidement sur la médecine de proximité.
Il faut que les médecins, les infirmières, les kinésithérapeutes, les professionnels de santé aient la maitrise (et la maîtrise d’ouvrage et de construction) des outils issus des nouvelles technologies qui les concernent, notamment les prises de rendez-vous en ligne et la télémédecine. Il est inconcevable de laisser (voire de favoriser) des plateformes de télé-médecine commerciales ou inféodées à des assurances, parfois basées en-dehors du territoire français (voire européen) inonder le marché.
Sans compter la publicité qui serait bientôt autorisée pour les médecins !
Il faut valoriser la confiance dans les professionnels de santé de ce pays dont chacun reconnait les qualités et l’investissement.
Supprimer la concurrence entre la ville et l’hôpital, c’est instaurer une vraie collaboration, une vraie complémentarité. C’est aussi cesser d’exiger de l’hôpital qu’il soit obligatoirement rentable et qu’il rembourse sa dette en la transférant à la CADES. Comment accepter qu’il paraisse impossible de retarder le remboursement de la CADES de dix-huit mois pour sauver le système de santé alors qu’il est si facile de prendre en charge la dette de la SNCF à hauteur de trente-cinq milliards !
L’Hôpital doit redevenir le troisième recours.
Il doit rester dans ses murs, avoir les moyens de l’hospitalisation et ne pas épuiser son personnel à la recherche d’une impossible rentabilité. Les urgences ne doivent accueillir que les véritables urgences et avoir les moyens de les prendre en charge.
Il faut avoir le courage de changer les mentalités et de réformer en profondeur la Permanence des Soins Ambulatoires (PDSA) et la gestion des Soins Non Programmés. Les outils que les médecins libéraux développent le permettent.
Il faut oser supprimer les Services Mobiles d’Urgence et de Réanimation (SMUR) dans toutes les grandes agglomérations où la population se trouve à moins de vingt minutes d’un VRAI service d’urgence .
Il faut réformer l’hospitalisation à domicile et en faire une organisation libérale renforcée par la médecine libérale de proximité.
Il faut instaurer enfin une véritable communication en temps réel entre la ville et l’hôpital en utilisant les messageries sécurisées existantes : c’est la base d’une vraie collaboration. Pour moins de vingt millions d’euros, il est possible de sécuriser la prise en charge du patient sans attendre un hypothétique Dossier Médical Partagé (DMP).
Stopper l’hémorragie démographique libérale c’est redonner de l’attractivité de la médecine libérale, c’est améliorer les conditions d’exercice avec une rémunération permettant l’embauche de personnel et des locaux adaptés permettant d’accueillir non seulement les patients mais aussi les étudiants et ainsi leur faire connaître l’exercice libéral pour que les jeunes médecins n’aient plus peur de s’installer.
Le cursus universitaire doit impérativement comporter un stage en libéral dans les 3 cycles afin de rassurer les étudiants sur la pratique libérale, la faire connaître et instaurer une synergie enfin efficace. L’urgence est de le faire pour le 3ème cycle dès maintenant et dans toutes les spécialités car ces internes seront opérationnels dans trois ans !
L’urgence est absolue car c’est la France entière qui se désertifie : l’Ile-de-France a perdu 20% de ses médecins libéraux en dix ans. 95% des médecins isolés ne trouveront pas de successeurs !
Les jeunes médecins aspirent légitimement à préserver leur vie en dehors du travail et à éviter tout risque de burn out. L’exercice regroupé permet de les rassurer mais encore faut-il prendre des mesures efficaces pour favoriser le regroupement (réel ou virtuel) ! Oui au regroupement dans de petites unités, capables d’assurer les soins non programmés, mais pas dans des maisons de santé, coûteuses, dont les solutions de financement fragilisent l’indépendance des praticiens qui y exercent. Ces incitations doivent être massives et rapides : personnel, locaux, informatique communicante sont génératrices d’emplois et de croissance . Belle-Ile-en-Mer, où les médecins ont à leur disposition locaux , secrétariat, DMP pour 500€/mois ( là où ailleurs il faut payer 3000€ pour avoir les mêmes prestations sans compensation possible du coût) a permis de passer de 3 à 9 médecins en six ans… Cela démontre bien que la désertification n’est pas une fatalité mais qu’elle nécessite un minimum d’investissement. Belle-Ile-en-Mer peut servir de curseur de ce qu’il est nécessaire d’investir pour repeupler la France de sa médecine de proximité : il faut trois milliards et il les faut immédiatement . Ce sont trois milliards qui n’iront pas dans la poche du médecin mais qui, par le déploiement de personnel et de matériel, redonneront envie de travailler en libéral et d’organiser la médecine de proximité, en complémentarité avec et surtout pas en concurrence ou sous la dépendance d’un hôpital contrôlé par un Groupement Hopitalier de Territoire (GHT), ni sous la coupe d’une hyper-administration dont on connaît les compétences depuis, notamment, la campagne de vaccination H1N1 !!
Travailler ensemble et en complémentarité, c’est s’engager dans une démarche qualité loin des protocolisations sclérosantes, en instaurant des groupes qualités régionaux regroupant les médecins de proximité, les spécialistes libéraux et les médecins hospitaliers, pour une prise en charge optimale de la santé de chacun.
Définir le rôle de chacun c’est permettre à la médecine de proximité d’assurer les soins de premier recours en collaboration étroite avec les autres professionnels de santé et le monde hospitalier privé et public.
C’est aussi définir un hôpital qui doit rester dans ses murs mais avoir les moyens d’assurer son véritable rôle : l’hospitalisation.
C’est recentrer le rôle des urgences hospitalières afin qu’elles n’accueillent QUE les véritables urgences sans épuiser le personnel dans la prise en charge de pathologies qui relèvent de la médecine de ville.
C’est enfin redéfinir le rôle des hôpitaux locaux souvent plus soumis à des enjeux électoraux que de santé publique.
Maitriser les nouvelles technologies est un enjeu majeur : les patients sont mieux informés et plus exigeants, plus impatients aussi.
Les prises de rendez-vous en ligne ne respectent pas le parcours de soins : des médecins de troisième recours voient leurs consultations très spécialisées embolisées par des motifs qui ne relèvent même pas du premier recours. Quid de la confidentialité des données du patient qui sont sous la menace d’une commercialisation ?
Les plateformes de télé-médecine, commerciales pour nombre d’entre elles, liées parfois à des organismes avides de données de santé, certaines non situées sur le territoire français, souvent sans contrôle des compétences du praticien, inondent le marché. La plupart dégrade la sécurisation de prise en charge du patient qui n’est pas examiné mais simplement interrogé par un médecin qui ne le connait pas. Si les prescriptions sont remboursées, la consultation restera à charge du patient, avec la bénédiction d’un gouvernement qui y voit sans doute une source d’économies.
La tâche est immense pour le gouvernement mais elle n’est pas insurmontable si le courage est présent et sa confiance envers les médecins et professionnels de santé affirmée.
Il faut mettre sur la table trois milliards, immédiatement, certes, mais il y a 50 000 emplois à la clef et une médecine de proximité qui aura enfin les moyens d’assurer ses missions.
Il faut mettre les vingt-trois milliards de la dette hospitalière dans la CADES.
Il faut instaurer une communication en temps réel entre l’hôpital et la ville.
Il faut faire confiance aux médecins et aux professionnels de santé libéraux pour organiser le territoire en coordination avec l’hôpital public et privé, et les services médico-sociaux.
« Ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi » a dit Nelson Mandela.
Monsieur le Président, le monde libéral médical et paramédical français, qui tous les jours réalise plus de 90% de la prise en charge des Français est prêt à la réforme si elle lui donne les moyens de travailler, de s’organiser et de construire la prise en charge de la santé en France, au contact direct des habitants de ce pays et en collaboration étroite avec l’hôpital.
Je suis sûr que vous comprenez la Fédération des Médecins de France, que je représente aujourd’hui, quand elle vous demande, Monsieur le Président :
Make our « système de santé » great again !
Clamart, le 17 septembre 2018
Docteur Jean-Paul HAMON
Président de la FMF