Réponse au livre de Martin Winckler
Il fut un temps où il était de bon ton que le médecin dominât la « plèbe » du haut de son savoir et c’était particulièrement vrai dans les CHU, mais aussi en ville. Je suis assez ancienne pour avoir vécu comme externe la consultation publique en pédiatrie par exemple, où des mamans intimidées déposaient leur nouveau né nu devant le » patron » qui se permettait critiques et quolibets pour amuser ou impressionner la galerie composée d’étudiants et soignants au garde à vous. J’ai connu des sage femmes-matrones qui humiliaient les jeunes primipares terrorisées en leur rappelant que si elles avaient pris du plaisir en faisant leur bébé, maintenant il fallait le «sortir» . Mais tous soutenaient qu’il n’y avait aucune malveillance et que c’était pour le « bien » du patient, une version remastérisée du «qui aime bien châtie bien. » Et le pire, c’est que, dans un véritable syndrome de Stockholm, les patients eux mêmes en convenaient ! C’était avant la loi Kouchner, avant l’information du patient, avant le consentement éclairé. La » maltraitance » de cette époque était conjoncturelle, quasi sociétale et la relation patient médecin était un colloque singulier en effet, mais avec une hiérarchisation potentiellement maltraitante en elle-même et admise en vertu du différentiel patent de connaissances. Les choses ont bien changé, heureusement. Les patients, bien informés, sont parfaitement aptes à participer aux démarches diagnostiques et thérapeutiques bien explicitées et argumentées, connaissent leurs droits, et le colloque singulier est alors un échange, au cours duquel toutes les dimensions du soin peuvent être abordées. Cette description de Winckler semble donc correspondre à une vision du « monde d’avant », et traite de maltraitants et maltraitances plus que de LA maltraitance médicale. Oui les cas de maltraitance médicale existent, mais lorsque sur plus de 400 millions de consultations annuelles, le CISS produit 9000 plaintes, c’est peu et non démonstratif. C’est encore trop. Que la profession doive tendre vers l’irréprochable est une évidence mais une gageure comme partout ailleurs et il me semble que nous payons déjà fort cher les multiples injonctions paradoxales que l’on nous impose . On accuse la direction de la Poste de maltraitance avec 9 suicides en 3 ans, que dire lorsque 450 médecins mettent fin à leurs jours dans le même temps ? J’en veux donc terriblement à M. Winckler qui, en définitive, empêche une réflexion constructive sur un sujet grave du fait d’une caricature grotesque dans laquelle l’immense majorité des médecins ne se reconnait pas, et que l’immense majorité des patients ne connait pas . « Tout ce qui est excessif est insignifiant » disait Talleyrand. Le débat tourne court et ne peut que virer au pugilat. Peut-on juger des individus et à fortiori toute une profession sur des témoignages indirects, l’anecdote, aussi douloureuse fût-elle, permet elle la théorisation, le fait divers fait-il l’Histoire ? Je suis gynécologue, et donc particulièrement dans le collimateur . L’immense majorité de mes confrères et consoeurs ne se reconnait pas dans ces séances de torture complaisamment décrites, mais il existe des gynécologues maltraitant(e)s (les femmes aussi peuvent être maltraitantes…). La spécialité en elle même est intrusive, touche au plus profond de l’intimité et peut être le terrain d’une terrible maltraitance aussi bien physique que psychique. J’ai reçu, nous avons tous reçu assez de femmes de tous âges, parfois traumatisées, pour ne pas l’ignorer. Mais j’affirme que M. Winckler est hors sol lorsqu’il décrit la consultation de gynécologie courante comme une saynette sado maso, ce qui semble davantage relever d’un fantasme morbide que d’une réalité objective. Notre devoir individuel est d’aider ces patientes à surmonter le traumatisme lorsque c’est le cas et je leur conseille alors de saisir l’Ordre, je leur explique les recours possibles, la CRCI, etc… car en effet la maltraitance est inacceptable, comme toute forme de violence. Après que faire d’autre ? Devons-nous tous expier les fautes de quelques-uns et subir ce genre de procès en sorcellerie? Rappelons que même la peine de mort ne suffit pas à arrêter le crime ! On tente de contourner le problème en robotisant la médecine, en faisant disparaitre la clinique au profit de la paraclinique, en remplaçant l’humain et ses failles par la machine . Mais lorsque le dialogue aura disparu, lorsque le colloque et l’examen clinique auront été remplacés par des process et des capteurs dans un délire transhumaniste, c’est une autre forme de maltraitance qui apparaitra, et pour avoir mis hors circuit quelques malfaisants, on aura privé l’ensemble de la population des bientraitants, de ceux qui ont les mots qui apaisent, les gestes qui soulagent, le regard qui ramène l’espoir. L’exercice de la médecine clinique ne sera jamais parfait mais sans doute plus humain que la médecine prédictive ou algorithmique qu’on nous promet. Donc stop à cet épouvantable procès de la profession qui reste parmi celles qui ont le plus à cœur l’écoute, l’empathie et la connaissance de la souffrance. M. Winckler, auteur pourtant du remarquable {La Maladie de Sachs}, fait preuve ici d’une trés grande maltraitance à l’égard de ses confrères, qu’il vomit pour des raisons qui ne seraient pas soutenables face à une analyse objective. Dominique Thiers-Bautrant Elue FMF à l’URML PACA