Le PRADO insuffisance cardiaque, premier pas vers la rémunération à l’épisode de soins ?

Le progrès partagé est arrivé jusque dans ma campagne reculée, j’ai fait la connaissance du PRADO Insuffisance Cardiaque.

Nouvel avatar des PRogrammes de Retour À Domicile (PRADO) de la CPAM, celui sur l’insuffisance cardiaque est justifié par le constat alarmant que : 

Parmi la population des insuffisants cardiaques, 95 000 ont été hospitalisés pour décompensation cardiaque en 2013 avec des taux élevés de réhospitalisation et de mortalité à moyen terme (source : PMSI 2013).

Près de 60 % ont été réhospitalisés dans les 6 mois après leur retour à domicile, dont plus de la moitié (62 %) pour une récidive.

On observe également durant cette période près de 16 % de décès.

L’analyse des soins remboursés (Sniiram) montre que deux tiers de ces patients ne consultent pas de cardiologues et 14 % ne consultent pas de médecins généralistes dans les 2 mois suivant la sortie d’hôpital.

Le constat est là, la CPAM propose SA solution. Il y a des choses intéressantes, des choses qui interpellent, et surtout des interrogations sur ce qui avance masqué derrière les PRADO.

Les points positifs :

C’est surtout la prise en compte du non médicamenteux dans les prises en charge : 

  • le passage d’une aide ménagère
  • le portage des repas à domicile
  • les séances de surveillance et d’éducation par un.e infimièr.e à domicile (qui normalement ne sont pas prises en charge)
  • l’implication du patient dans sa pathologie et sa prise en charge

C’est aussi l’assurance que le médecin traitant puisse coter une MIC, sans le subordonner au fait que le patient ne soit pas passé par un SSR.

Ce parcours prévoit une consultation avec le médecin traitant dans les 8 jours suivant le retour à domicile et une consultation longue (MIC) dans les 2 mois

Ce qui fâche un peu (beaucoup)

Ce PRADO a tendance à déresponsabiliser les patients : le ou la CAM (Conseiller.e de l’Assurance Maladie) inscrit le patient dans le dispositif, prend les rendez-vous, décide si ce sera à domicile ou au cabinet. Après tout si 14% des patients n’ont pas consulté leur médecin dans les 2 mois, ça veut quand même dire que 86% l’ont fait. Et il est gênant que ce soit un administratif et pas un soignant qui gère l’entrée dans le dispositif. Lequel CAM en profite au moins chez moi pour créer un DMP au patient, qui ne lui est d’aucune utilité (ni à moi) puisqu’il reste vide, ne contenant même pas le CR d’hospitalisation.

Le PRADO protocolise à outrance : feuilletez donc le livret d’accompagnement en téléchargement à la fin de l’article (74 pages tout de même – on se demande quel en est le prix) ! et ce livret, si on veut l’utiliser correctement, entraîne une surcharge de travail très importante pour les libéraux, de double saisie dans leurs dossiers et dans le livret. C’est assez comique quand on se souvient qu’Edouard Philippe se félicite lors du premier comité interministériel de la transformation publique de la de fin de la culture papier de la CPAM !

 Là où, par exemple, la culture du papier pouvait prévaloir, elle disparaît pour la gestion des prestations, avec des nouveaux systèmes de liquidation automatique.

Ce qui vaut pour la CPAM ne vaut apparemment pas pour les libéraux !

Ce livret est aussi un risque important pour la confidentialité des données de santé du patient, qui ne sont absolument pas protégées. 

Il semble aussi lier la cotation de la MIC à la réalisation d’un certain nombre d’items (page 60) alors que la NGAP ne prévoit rien de tel, et la rejette à la fin de la période des 2 mois de surveillance, alors que là non plus la NGAP ne le mentionne pas.

Il est dommage qu’aucune place ne soit faite à la réhabilitation cardio-respiratoire, que ce soit par un kinésithérapeute libéral ou par un séjour en centre spécialisé.

Normalement le médecin traitant (et dans le cadre de l’insuffisance cardiaque le cardiologue référent) est censé être le pivot de la prise en charge. Dans les faits avec le PRADO il est relégué au rang d’exécutant d’un protocole que d’autres (et dans ce cas l’assurance maladie, dont ce n’est normalement pas le métier) ont mis en place.

Et enfin, la CNAM pense-t-elle que les relations entre l’hôpital et la ville se soient dégradées au point qu’il soit nécessaire que l’administration et l’assurance maladie servent d’interface dans l’organisation des soins ? Si c’est vraiment le cas, c’est le signe d’une dérive inquiétante.

Les questions qu’on ne peut s’empêcher de se poser :

Quelle place pour l’évaluation du dispositif ? on aimerait bien être être sûr que l’impact sur la santé, les réhospitalisations, les décès, et le coût de la prise en charge, sera positif.

Pour le coût, quel est celui du PRADO ? entre les CAM, les (beaux) livrets, et l’infrastructure nécessaire, l’investissement est important.

Et pour l’impact médical, une publication récente dans le JAMA semble montrer pour le programme américain correspondant une diminution des réhospitalisations à 30 jours et un an, mais une augmentation des décès à 30 jours et un an. L’évaluation est donc absolument indispensable.

Puisque la MIC existe déjà dans la NGAP depuis l’avenant 8 de la Convention de 2011, pourquoi la citer expressément dans la documentation du PRADO ? Ne peut-on pas craindre à l’avenir une évolution de la NGAP qui réserverait la cotation MIC aux patients inclus dans le dispositif PRADO ?

Et plus largement, la CNAM ne compte-t-elle pas sur les PRADO pour dériver insidieusement vers des dispositifs de rémunération à l’épisode de soins plutôt que d’en rester à des rémunérations à l’acte ?

La FMF restera attentive à de telles évolutions qu’elle ne souhaite pas.