Le COVID inspire les médecins

Monsieur le Président (d’après Boris Vian)

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps

Vous parlez de la guerre
Contre ce sale virus
Mais vous parlez, j’m’excuse,
Un peu à la légère

Je suis généraliste
Du côté de Mulhouse
Aujourd’hui, j’ai le blues
C’est une journée triste

J’ai établi hier
Un certif’ de décès
Un de plus, je m’y fais
Vraiment pas, j’suis pas fier

Savez-vous, le plus dur
C’est de se sentir seul
Et désarmé, ma gueule
A changé de figure

C’est le premier avril
J’ai rêvé qu’on me dise
Tout ça, c’est des bêtises,
Mais tout l’monde se défile

J’ai reçu à ce jour
Quinze masques FFP2
De quoi tenir huit jours
Heureus’ment j’ai des vieux

Ils sont tous périmés
Depuis plus de dix ans
Je manque aussi de gants
D’lingettes alcoolisées

Je parle pas des charlottes
Des sur-blouses, des chaussons
Des lunettes d’protection
Faut pas rêver mon pote

Les gels et solutions
Hydro-alcooliques, là
J’en cherche encore parfois
Pour ça, c’est presque bon

J’veux pas polémiquer
Mais vraiment c’était con
D’laisser les élections
J’suis pas allé voter

Maint’nant on a compris
On joue le confin’ment
Enfin pas les soignants
Ni ceux qui tiennent nos vies

Je pense à nos routiers,
A ceux qui nous nourrissent
Qui nous livrent, nous unissent
Qui nous font espérer

Et aussi, et surtout
A ceux des Hôpitaux
et des EHPAD, chapeau
Pourvu qu’ils tiennent le coup

Je continue chaque jour
Avec honnêteté
A faire mon métier
Faites la guerre, pas l’amour

Monsieur le Président
Moi je veux bien la faire
Parce que je suis sur terre
Pour soigner tous les gens

Mais j’ai peur pour mes proches
J’veux pas les infecter
Ce serait cher payer
Vraiment, ce serait moche

Un jour nous sortirons
De cette drôle de guerre
Ce s’ra pas la dernière
Mais nous nous réjouirons

Plus tard, si Dieu le veut,
Il faudra que l’on cause
De tout’s sortes de choses
Pour que l’on vive mieux

Mais pour l’instant je dis
A tous, ne faisons qu’un
Montrez-nous le chemin
Nous suivrons, c’est promis

Je n’vais pas déserter
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je retourne travailler


Trop tard … (d’après « Zangra » de Jacques Brel)


Je m’appelle D. C. et je suis jeune externe
Au CHU d’Strasbourg qui domine la plaine
D’où le virus viendra qui me fera héros

En attendant ce jour, je m’ennuie quelquefois
Alors, je vais en ville voir les filles en troupeaux
Mais elles rêvent d’amour et moi de mes études

Je m’appelle D. C. et maintenant interne
Au CHU d’Strasbourg qui domine la plaine
D’où le virus viendra qui me fera héros

En attendant ce jour, je m’ennuie quelquefois
Alors, je vais en ville voir la jeune Consuelo
Mais elle parle d’amour et moi de mes recherches

Je m’appelle D. C., enfin chef de clinique
Au CHU d’Strasbourg qui domine la plaine
D’où le virus viendra qui me fera héros

En attendant ce jour, je m’ennuie quelquefois
Alors, je vais en ville, boire avec Don Pedro
Il boit à mes amours et moi à mes travaux

Je m’appelle D. C., professeur de rang A
Au CHU d’Strasbourg qui domine la plaine
D’où le virus viendra qui me fera héros

En attendant ce jour, je m’ennuie quelquefois
Alors, je vais en ville, voir la veuve de Pedro
Je parle enfin d’amour mais elle de mes diplômes

Je m’appelle D. C., professeur émérite
Et j’ai quitté Strasbourg qui domine la plaine
La pandémie est là, je ne serai pas héros

Dr Jean-Paul Schneck
Wittenheim, le 03/04/20