Les députés signataires de la PPL transpartisane dite Garot semblent décidés à marquer l’histoire en proposant une régulation drastique de l’installation des médecins. Mais, à bien y regarder, leur démarche soulève autant de questions que de contradictions, voire d’incohérences, tant sur le plan politique que pratique en particulier lorsque l’on analyse la répartition géographique des députés signataires.
Une régulation punitive qui pénalise les territoires bien dotés
L’article 1er de la PPL propose de soumettre toute nouvelle installation de médecins à une autorisation délivrée par l’Agence Régionale de Santé (ARS). Si, en zone sous-dotée, cette autorisation sera automatique, dans les zones normodenses et surdenses, elle sera conditionnée « à la cessation d’activité́ d’un praticien pratiquant la même spécialité́ sur ce territoire ». Cela signifie qu’aucun médecin supplémentaire ne pourra s’installer dans ces territoires, même si la demande de soins augmente, même si de nouveaux habitants s’y installent, et même si cela répond à une logique locale. Ce dispositif revient donc à figer l’offre médicale dans les zones normalement dotées.
Parmi les 220 députés signataires de cette proposition de loi :
- 16% soit 35 députés seulement représentent des territoires sous-denses c’est-à-dire avec une Accessibilité Potentielle Localisée (APL) < à 2,5 consultations par habitant par an (seuil défini par la DREES qui correspond à une situation où l’accès aux médecins généralistes est jugé insuffisant par rapport aux besoins de la population).
- 182 députés représentent des territoires suffisamment dotés : 27 (12,5%) sont en zone surdense c’est-à-dire avec une APL > 4 consultations par habitant par an et 155 (70,5%) sont en zone normodense avec un APL comprise entre 2,5 et 4 consultations par habitant par an
En d’autres termes, 182 élus se préparent à expliquer à leurs électeurs pourquoi ils s’opposent à toute installation de nouveaux médecins dans leurs territoires, une situation absurde, voire périlleuse pour ne pas dire suicidaire sur le plan politique.
Les députés en zones surdenses : des élus contre leurs électeurs
Que dire des 27 députés qui représentent des zones dites surdenses (APL > 4) ? Ces élus, en proposant cette loi, se positionnent délibérément contre toute nouvelle installation de médecins dans leurs circonscriptions. Pourtant, leurs électeurs, qui bénéficient d’un accès satisfaisant aux soins, pourraient légitimement souhaiter voir cette offre maintenue, voire renforcée en cas de hausse de la population. En validant une telle mesure, ces députés sacrifient l’attractivité de leurs territoires et risquent de devoir justifier à leurs électeurs pourquoi ils se privent volontairement de l’arrivée de nouveaux praticiens.
Les députés en zones normodenses : le choix de l’immobilisme
La situation des 155 députés des zones normodenses (APL entre 2,5 et 4) n’est guère plus enviable. Ces territoires, jugés équilibrés en termes d’accès aux soins, se verraient eux aussi privés de toute possibilité de renforcer leur offre médicale. Avec une population vieillissante et des besoins de santé croissants, figer le nombre de praticiens dans ces zones reviendrait à condamner leur équilibre actuel à un lent déclin. Ces élus devront alors expliquer pourquoi ils soutiennent une loi qui empêche les médecins de s’installer, au risque de dégrader l’accès aux soins pour leurs propres administrés.
Les zones sous-dotées : les oubliées de la régulation
Enfin, même pour les 35 députés représentant des zones sous-denses (APL < 2,5), la régulation proposée ne garantit en rien une amélioration de l’accès aux soins. Empêcher un médecin de s’installer dans une zone normodense ou surdense ne signifie pas qu’il choisira automatiquement de s’installer dans une zone sous-dotée. Les déterminants de l’installation des médecins sont multiples : qualité de vie, infrastructures, conditions d’exercice, soutien logistique. Ignorer ces réalités revient à appliquer une solution simpliste à un problème complexe.
Une mesure qui renforce les inégalités
L’affirmation selon laquelle cette régulation « permettra de stopper la progression des inégalités entre territoires » est infondée. En réalité, elle risque de créer de nouvelles inégalités :
- Dans les zones normodenses et surdenses, l’augmentation et le vieillissement de la population ainsi que l’augmentation des pathologies chroniques risquent d’aggraver les délais d’attente et de créer un déséquilibre progressif dans l’accès aux soins, faute de possibilité de renforcer l’offre médicale face à des besoins croissants.
- En zones sous-denses, rien ne garantit que les médecins se dirigeront vers ces territoires faute de mesures incitatives et d’un accompagnement adapté.
Une loi qui ne convainc personne (pas même ses bénéficiaires)
Au final, seuls les 35 députés des zones sous-dotées pourraient théoriquement bénéficier de cette loi. Mais encore une fois, rien ne garantit que les médecins, empêchés de s’installer où ils le souhaitent, se dirigeront vers ces territoires. Après tout, la médecine n’est pas une profession qui manque de débouchés. Les opportunités abondent, et les jeunes médecins, lassés par de telles contraintes, risquent davantage de chercher ailleurs, voire à l’étranger, des conditions d’exercice plus attractives.
Un pari risqué, une politique aveugle
La question de la régulation de l’installation des médecins refait régulièrement surface dans les débats politiques, souvent présentée comme une solution aux inégalités d’accès aux soins. Pourtant, une analyse approfondie des données et des exemples internationaux montre que cette approche est largement contre-productive et inadaptée au contexte français.
Les médecins généralistes : des professionnels déjà bien répartis
Contrairement aux idées reçues, les médecins généralistes libéraux sont les professionnels de santé les mieux répartis sur le territoire français, comme le confirme une nouvelle fois la DREES en décembre 2024(1). En effet, les 10 % de la population les mieux dotés en médecins généralistes bénéficient en moyenne de 5,6 consultations par an, contre seulement 1,4 consultation par an pour les 10 % les moins bien dotés. Cela représente un rapport de 4,1, en augmentation de 5 % entre 2022 et 2023, témoignant d’un creusement des disparités territoriales.
Malgré cette hausse, les inégalités dans l’accès aux médecins généralistes restent nettement inférieures à celles observées pour d’autres professions de santé. Ainsi, le rapport entre l’accessibilité des 10 % les mieux dotés et celle des 10 % les moins dotés s’élève à 7,8 pour les chirurgiens-dentistes, 6,7 pour les kinésithérapeutes, 6,1 pour les infirmières, et 5,1 pour les sages-femmes qui sont pourtant déjà soumis à des mesures de régulation à l’installation.
Ce constat souligne que la liberté d’installation des médecins généralistes permet une répartition géographique plus homogène que celle des professions réglementées. En imposant une régulation stricte, il est à craindre que l’équilibre actuel soit mis en péril, aggravant les tensions sur le terrain.
Les limites des exemples internationaux (Danemark, Norvège, Allemagne)
Les défenseurs de la régulation, dans le cadre de la PPL Garot s’appuient sur les exemples du Danemark, de la Norvège et de l’Allemagne pour justifier leur approche. Cependant, ces modèles ne sont ni transposables ni comparables au contexte français.
- Danemark : Les médecins généralistes danois travaillent sous contrat avec les autorités régionales dans un système de santé largement public. Ils bénéficient d’un cadre administratif simplifié, de conditions de travail attractives, et d’une rémunération stable. En France, où la médecine libérale est dominante, une telle structure est inexistante et nécessiterait des transformations systémiques majeures.
- Norvège : En Norvège, la majorité des médecins généralistes sont salariés par les municipalités. Ce modèle repose sur un financement public conséquent et un maillage territorial adapté, avec des infrastructures de santé modernes et accessibles. Rien de tout cela n’est envisagé dans le cadre de la régulation proposée en France.
- Allemagne : Depuis les années 1990, l’Allemagne régule l’installation des médecins en fixant un nombre limité de praticiens pouvant être conventionnés dans chaque région. Cependant, ce dispositif s’accompagne d’une densité médicale par habitant bien supérieure à celle de la France, ainsi que d’un soutien institutionnel important pour les zones sous-dotées. En France, où la démographie médicale est déjà insuffisante, une telle régulation risquerait d’accentuer la crise actuelle.
Ces exemples montrent que la régulation, pour être efficace, doit être accompagnée de politiques structurelles ambitieuses, ce qui n’est pas prévu dans les propositions actuelles. Mais surtout la DREES souligne que la régulation géographique de l’installation des médecins, bien que pratiquée dans certains pays, montre ses limites, car elle n’élimine pas les pénuries dans les zones les moins attractives, nécessitant des mesures complémentaires comme le soutien aux internes ou la création de dispensaires, sans résoudre les déséquilibres locaux ni la pénurie globale
Une approche simpliste face à un problème complexe
La régulation administrative de l’installation des médecins néglige les véritables moteurs de leur choix, tels que l’attractivité locale, les infrastructures, et les attaches personnelles comme la proximité de leur lieu de naissance ou d’internat. Les travaux de l’INSEE (4) et d’Emmanuel Vigneron (3) montrent que les inégalités d’accès aux soins résultent davantage des dynamiques économiques et sociales, exacerbées par la métropolisation et la fracture territoriale. Ces déséquilibres, enracinés dans des réalités structurelles, exigent des politiques territoriales ambitieuses axées sur l’amélioration des conditions de vie et de travail, plutôt qu’une contrainte administrative inefficace et déconnectée des besoins réels des territoires.
La FMF alerte sur les dangers d’une régulation punitive
Il faut reconnaître le courage politique des 182 députés signataires de zones normodenses et surdenses, prêts à assumer une telle décision face à leurs électeurs.
Car expliquer qu’ils refusent toute installation supplémentaire de médecins, au prétexte d’une régulation rigide et inefficace, relèvera d’un véritable tour de force.
Mais derrière cette ironie se cache une réalité inquiétante : cette loi, si elle était adoptée, n’apporterait aucune solution concrète aux déserts médicaux et risquerait de dégrader l’accès aux soins pour l’ensemble de la population. La régulation punitive proposée par la PPL Garot est une fausse bonne idée, inadaptée aux réalités du terrain et en décalage complet avec les attentes des citoyens.
La FMF appelle donc les décideurs à abandonner cette approche coercitive et à privilégier des mesures incitatives et constructives pour améliorer l’accès aux soins sur tout le territoire.
- https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/communique-de-presse-jeux-de-donnees/jeux-de-donnees/241220_DATA_accessibilite-aux-soins
- Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques > Les Dossiers de la DREES n° 89 > décembre 2021
- Emmanuel Vigneron. Inégalités de santé, inégalités de soins dans les territoires français. Les Tribunes de la santé 2013/1 (N°38) pages 41 à 53
- Les médecins généralistes libéraux s’installent souvent à proximité de leurs lieux de naissance ou d’internat. Insee Première • n° 2024 • Novembre 2024