Tous les ans à la fin de l’été, deux corvées tombent aussi régulièrement que la rentrée scolaire : les Certificats de non-contre indication à la pratique sportive et les procédures d’entrée en Instituts de Formation aux Soins Infirmiers (IFSI) ou dans toutes les écoles paramédicales.
Les deux ont en commun d’être parfaitement codifiés et obligatoires sur certains points, et de laisser la bride à des exigences totalement hors du cadre légal.
Voici par exemple un extrait du dossier d’amission en IFSI du CHU de Caen (pas l’école de Trifouillis-les-Oies), à jour puisque c’est la version de juin 2019.
La première page est presque correcte, la seconde beaucoup plus sujette à critiques.
Que dit la « bible » : le Journal Officiel ?
L’admission définitive dans un institut de formation préparant à l’un des diplômes visés à l’article 1er du présent arrêté est subordonnée :
a) A la production, au plus tard le premier jour de la rentrée, d’un certificat établi par un médecin agréé attestant que l’étudiant ne présente pas de contre-indication physique et psychologique à l’exercice de la profession ;[…]
b) A la production, au plus tard le jour de la première entrée en stage, d’un certificat médical de vaccinations conforme à la réglementation en vigueur fixant les conditions d’immunisation des professionnels de santé en France.
Donc pour la première page, il faut bien un certificat médical d’un médecin agréé ; je plains d’ailleurs ce dernier, comment peut-on décemment en un quart d’heure évaluer qu’un jeune de 18 ans est apte psychiquement à travailler dans le secteur de la santé, quand on connaît la pression qui y règne ?
Et un certificat stipulant que les vaccinations sont bien à jour. Point final.
C’est là que le bât commence à blesser. Le texte légal ne stipule pas qu’il faut détailler les vaccinations, juste certifier qu’elles sont à jour. Et BCG, grippe, ROR et coqueluche ne font pas partie des obligations, nous allons le détailler plus bas.
Quant à la page 2, elle est clairement abusive. Soit la signature d’un médecin (de plus agréé) a une valeur probante, et cette page est inutile, soit elle n’en a pas, et c’est un peu problématique.
La page 2 se résume à transfomer le médecin en opérateur de saisie, ce qu’il n’est pas. Si l’IFSI veut le détail des vaccinations, il demande une photocopie de la page des vaccinations du carnet de santé, qui est un CERFA et a valeur légale de certificat :
et la copie de la biologie mentionnant le taux d’anticorps anti-HBs ± anti HBc, et ils se débrouillent ensuite comme des grands pour les rentrer dans leurs dossiers. C’est d’ailleurs ce que je fais depuis des années, et aucun de mes jeunes patients n’a été refusé en IFSI pour autant.
Qu’en est-il d’ailleurs des obligations vaccinales ?
Là ça devient plus compliqué, il faut rechercher dans des textes (parfois contradictoires) éparpillés un peu partout.
En théorie selon l’Article L3111-4 du Code de la Santé Publique :
Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l’exposant ou exposant les personnes dont elle est chargée à des risques de contamination doit être immunisée contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe.
Les personnes qui exercent une activité professionnelle dans un laboratoire de biologie médicale doivent être immunisées contre la fièvre typhoïde.
Un arrêté des ministres chargés de la santé et du travail, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les catégories d’établissements et organismes concernés.
Tout élève ou étudiant d’un établissement préparant à l’exercice des professions médicales et des autres professions de santé dont la liste est déterminée par arrêté du ministre chargé de la santé, qui est soumis à l’obligation d’effectuer une part de ses études dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention ou de soins, doit être immunisé contre les maladies mentionnées à l’alinéa premier du présent article.
Les établissements ou organismes employeurs ou, pour les élèves et étudiants, les établissements ayant reçu leur inscription, prennent à leur charge les dépenses entraînées par ces vaccinations.
Trois remarques :
- et oui la vaccination antigrippale est obligatoire, y compris pour les médecins libéraux, depuis 2006. Sauf que la loi à peine passée, le Décret n° 2006-1260 du 14 octobre 2006 l’a suspendue ! mais seulement suspendue, pas annulée !
- certaines écoles qui ne veulent pas s’embêter demandent la vaccination anti-typhoïde pour tout le monde, c’est évidemment un abus ; d’autant que cette obligation est suspendue depuis le 1er mars 2020 ;
- la prise en charge des vaccinations par les écoles relève bien évidemment de l’utopie.
Le point particulier de l’hépatite B : les conditions sont particulièrement strictes pour les personnels de santé et les élèves. Vous avez déjà tous vu ce schéma compliqué :
Je ne saurais trop conseiller de demander systématiquement à tous vos patients en première et terminale s’ils envisagent une carrière médicale ou paramédicale, pour anticiper. C’est long à réaliser, vérifier le taux d’anticorps, faire une 4ème injection si besoin, revérifier. Et les jeunes non vaccinés n’intègreront pas une école. Donc au moins un an de perdu !
Et pour l’IDR, le BCG et la radiographie pulmonaire ?
La plupart des écoles exigent encore ces trois items, et demandent « de moins de 3 mois » pour IDR et radiographie pulmonaire.
Pour le BCG soyez ferme ! surtout qu’on va avoir de plus en plus de jeunes non vaccinés à la maternité depuis la disparition du Monovax® en 2005.
Le BCG est aussi toujours mentionné comme obligatoire dans le Code de la Santé Publique, sauf que cette obligation, à l’instar de celle de la grippe, est suspendue (et non pas annulée) pour … à-peu-près tout le monde, y compris les professionnels de santé, depuis le 1er mars 2019.
Donc aucune école n’est en droit de l’exiger.
Pour l’IDR, on est là dans les fantasmes d’après-guerre de la lutte anti-tuberculeuse. Elle est effectivement mentionnée dans la Circulaire DGS/SD5C n° 2004-373 du 11 octobre 2004 :
L’IDR doit être réalisée […] comme test de référence dans le cadre de la surveillance des membres des professions à caractère sanitaire ou social exposés à la tuberculose (professions énumérées aux articles R. 3112-1 et R. 3112-2 du code de la santé publique)
mais il n’est nulle part mentionné que l’IDR de référence doit avoir moins de 3 mois. Elle est douloureuse, techniquement difficile (d’autant qu’on en fait de moins en moins), nécessite de revoir le patient 72 h plus tard pour la lecture, qui est très sujette à variations et interprétations, et en plus le Tubertest® est chroniquement en rupture !
Une suggestion : dans les IFSI il y a des élèves de 3ème année. Faites donc effectuer vos IDR par ces élèves pour les entraîner !
D’autant que l’IDR n’est plus considérée comme un test fiable d’infection tuberculeuse (sauf en cas de non-vaccination préalable) et est avantageusement remplacée dans cette indication par les tests IGRA.
Et la radiographie pulmonaire alors ? de nombreux IFSI continuent de l’exiger, alors qu’on n’en trouve pas trace dans le Code de la Santé Publique pour les écoles paramédicales. C’est dans le Code du Travail qu’il faut chercher, à l’article R4626-23 qui mentionnait jusqu’au 31/12/2015 :
L’examen médical comporte notamment :
1° Une épreuve cutanée à la tuberculine, sauf production d’un certificat de moins de trois mois émanant d’un pneumophtisiologue agréé ;
2° Une radiographie pulmonaire, sauf si l’intéressé fournit un cliché pulmonaire datant de moins de trois mois.
Mais ce texte est modifié depuis le 1er janvier 2016 par le décret 2015-1588, et indique seulement maintenant :
Le médecin du travail prévoit les examens complémentaires adaptés en fonction des antécédents de la personne, du poste qui sera occupé et dans une démarche de prévention des maladies infectieuses transmissibles.
Le médecin du travail procède ou fait procéder aux examens complémentaires prévus par les dispositions en vigueur pour certaines catégories de travailleurs exposés à des risques particuliers dans les conditions prévues à l’article R. 4626-31.
La radiographie pulmonaire obligatoire était une exigence de médecine du travail, donc à la charge de l’établissement, et de toute façon n’est plus obligatoire depuis bientôt 4 ans. C’est par ailleurs un examen d’un rendement diagnostique très faible pour ne pas dire nul, et irradiant.
Et en deuxième et troisième année ?
Depuis quelques années je vois passer des élèves entrant en deuxième ou troisième année qui doivent refaire le certificat mentionnant toutes leurs vaccinations. C’est évidemment abusif ; lâchez-vous dans la rédaction des certificats, en demandant si l’administration de l’IFSI est capable de conserver ses dossiers d’une année sur l’autre, la situation vaccinale des élèves n’ayant évidemment pas changé : s’ils étaient aptes l’année précédente, ils le sont toujours.
Qu’en retenir en pratique ?
- Le certificat médical reste obligatoire
- De même que les vaccination Diphtérie-Tétanos-Polio et hépatite B
- Les autres exigences de vaccinations sont illégales, même si leur intérêt n’est pas remis en cause
- L’IDR est hautement contestable, et la radiographie pulmonaire aussi
Néanmoins, s’il est assez facile d’être très ferme sur les vaccinations et le (non-)remplissage manuel du relevé de ces vaccinations sans préjudice pour les futurs élèves infirmiers, on est souvent obligé de composer pour l’IDR et la radiographie pulmonaire, les élèves étant pris en otages. Donc je les fais (ça m’entretient pour l’IDR) mais je mentionne leur caractère abusif sur mon certificat. Il faut toujours espérer faire bouger les choses, petit à petit.