L’audition des patients dans le cadre de la procédure de contrôle d’activité des médecins

(art. L.315-1 du code de la sécurité sociale)

Les bases juridiques sont citées ci-dessous (en couleur) et il est important de noter l’absence de « garde fou » à l’action d’un médecin de contrôle, notamment sur le plan Déontologique, parce qu’il est protégé par le code de la santé publique (Art L4124-2 du code de la santé publique) et ne peut être poursuivi devant ses pairs, en cas de manquement, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l’Etat dans le département (le Préfet), le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) ou le procureur de la République.

Pourtant le code de déontologie médicale repris dans le code de la santé publique (article R.4127-102) prévoit des obligations qui ne sont jamais respectées (voir témoignage en fin d’article).

«  Le médecin de contrôle doit informer la personne qu’il va examiner de sa mission et du cadre juridique ou elle s’exerce, et s’y limiter. Il doit être très circonspect dans ses propos et s’interdire toute révélation ou commentaire. Il doit être parfaitement objectif dans ses conclusions. »

Article L315-1 du code de la sécurité sociale (Modifié par LOI n°2009-1646 du 24 décembre 2009 – art. 90)
I.-Le contrôle médical porte sur tous les éléments d’ordre médical qui commandent l’attribution et le service de l’ensemble des prestations de l’assurance maladie, maternité et invalidité ainsi que des prestations prises en charge en application des articles L. 251-2 et L. 254-1 du code de l’action sociale et des familles.
II.-Le service du contrôle médical constate les abus en matière de soins, de prescription d’arrêt de travail et d’application de la tarification des actes et autres prestations…
IV.-Il procède également à l’analyse, sur le plan médical, de l’activité des professionnels de santé dispensant des soins aux bénéficiaires de l’assurance maladie, de l’aide médicale de l’Etat ou de la prise en charge des soins urgents mentionnée à l’article L. 254-1 du code de l’action sociale et des familles, notamment au regard des règles définies par les conventions qui régissent leurs relations avec les organismes d’assurance maladie ou, en ce qui concerne les médecins, du règlement mentionné à l’article L. 162-14-2. La procédure d’analyse de l’activité se déroule dans le respect des droits de la défense selon des conditions définies par décret.

Dans le cadre de ces contrôles dits « d’activité  », le médecin conseil du pôle de contrôle de la CPAM peut être amené à convoquer et auditionner des patients recevant les soins du médecin contrôlé.

En 15 ans de CJ, j’ai entendu les témoignages de centaines de médecins et de leurs patients ainsi auditionnés, et tous me relatent des faits concordants qui montrent une façon de procéder à la limite de la légalité pouvant même relever de « l’abus de faiblesse sur personne vulnérable par personne dépositaire d’une autorité publique » voire de « subornation de témoins » (Art 434-15 du code pénal). Aussi j’ai rassemblé des morceaux choisis, témoignages de patients déstabilisés et parfois très remontés par ce qu’ils avaient vécu au cours de ces parodies d’auditions qui se révélaient être en fait de véritables interrogatoires.

 • Il s’agit manifestement d’une procédure uniquement à charge (du médecin contrôlé).

 • Tout d’abord le patient reçoit une convocation « obligatoire » dont le motif n’est jamais clairement affiché, laissant à penser au patient que ce sont ses prestations qui sont concernées ; un patient témoigne : [Je me permets de dénoncer la pratique angoissante de l’audition, de la convocation sous couvert de “suivi des soins remboursés“ sans en exposer les véritables raisons ]

 • Arrivé sur place, le patient pense être lui-même convoqué pour un contrôle et en aucun cas qu’il s’agit de contrôler son médecin ! Un patient témoigne : [Ainsi, en arrivant à l’accueil le jour de la convocation, l’agent d’accueil derrière son guichet, ne me voyant pas sur la liste lors de la présentation de la convocation, a appelé sa collègue pour savoir si c’était pour “la fraude”… Terrorisée à l’idée d’avoir des problèmes injustes et injustifiées, j’ai demandé si on m’ accusait d’avoir fraudé, elle m’a juste indiqué la salle d’attente vers le fond pour m’asseoir et attendre d’être appelée]

 • Il subit parfois des pressions laissant entendre que sa prise en charge est conditionnée par ses réponses. Un patient témoigne : [ Passé le soulagement de savoir que ça ne me concernait pas… quand j’expliquais que le docteur avait entendu mes douleurs et que j’étais satisfaite, je me souviens qu’on m’a dit « c’est pour savoir si vous êtes bien soignée il ne faut pas mentir sinon ça pourrait lui faire du tort »]

 • J’ai vu des séries de témoignages écrits en lieu et place des patients, de la même main, manifestement celle du médecin contrôleur, des témoignages où manquait le formalisme légal  : absence par exemple de la copie de la CNI. Des témoignages de patients analphabètes ou ne parlant pas français signés par leur enfant. Parfois même des témoignages stéréotypés où le patient doit cocher les cases correspondantes à ses consultations et s’il en oublie quelques unes elles sont considérées comme des « consultations fictives ». Parfois on interroge le fils ou la fille pour les soins du père ou de la mère. Des patients à qui le contrôleur demandait si le médecin demandait des « dessous de table », à « être payé en liquide », « avait bien effectué les actes facturés », « gardait ou emportait la carte vitale »

 • Des patients qui avaient bien témoigné mais dont le témoignage n’avait pas été retenu sans doute parce qu’il était favorable au médecin (je vous parlais plus haut de procédure uniquement à charge) ; un patient témoigne : [J’ai trouvé qu’il y avait un sérieux manque d’objectivité. Les questions étaient fermées laissant peu de place à des explications et étaient à mon sens ubuesques et répétées dans tous les sens comme pour embrouiller … et j’avais la désagréable sensation d’être sur un grill malgré le soi disant “juste contrôle accepté par tous les médecins” que l’individu a tenté de me faire croire. ]

 • Un patient témoigne  : [ Je demeure jusqu’à ce jour dubitatif en revanche sur la légalité du déroulement de l’audition qui ne donne qu’une envie : fuir et qui amène à la conclusion qu’on avait déjà jugé ce médecin. J’ai trouvé aussi bien le procédé de manipulation que le déroulement nébuleux dans les intentions de “simple contrôle ou suivi” abjectes, choquants, terrifiants et les enquêteurs tendancieux. L’objectif n’était pas de contrôler ou de s’assurer de mon bien être au niveau des soins mais clairement de trouver des éléments pour étayer leur volonté que soit déclaré fraudeur le médecin. Tout était donc entrepris pour mener à bien un dossier à charge contre ce praticien, officieusement avant même la fin de l’enquête coupable, aux yeux de la CPAM, de fraude. ]

 •  Sont rapportées parfois des critiques ou des remarques véhémentes à l’égard du médecin traitant, en contradiction totale avec la déontologie médicale et notamment l’Art 4127-103 du code de la santé publique, mais sous le couvert de l’Art L4124-2 du même code les confrères agissent en totale impunité !

L’alibi de ces écarts allégués serait qu’à ce stade la procédure n’est pas contentieuse, alors qu’il s’agit bien d’une « mise en examen » pour faire un parallèle avec les procédures pénales, avec une audition à la manière d’un juge d’instruction sauf que la procédure n’est pas menée à charge et à décharge, mais uniquement à charge et que les droits de la défense sont foulés aux pieds, le supposé suspect est tenu à l’écart au cours de cette phase d’instruction et son défenseur est absent  :

Comment alors se revendiquer de respecter les « droits de la défense » ?
Et que penser des témoignages des patients

  • Alors que les faits remontent parfois à des années,
  • Alors qu’ils se trouvent en situation de faiblesse : il s’agit de malades, parfois atteints de maladies chroniques, parfois ne maîtrisant ni la langue ni l’écrit, craignant pour leur prise en charge par l’assurance maladie, et en situation d’infériorité face à une administration toute puissante.

Je sais que les professionnels du droits qui ont été confrontés à ce sujet partagent unanimement mon avis  ! Aussi je souhaiterais vous faire partager les conclusions d’une Thèse en Doctorat der Droit Public qui remonte à plus de 10 ans : « LE MÉDECIN LIBÉRAL FACE AU SERVICE PUBLIC DE SÉCURITÉ SOCIALE » soutenue le 7 septembre 2010, à Angers par Perle-Marie PRADEL :

[1. Alors que la médecine libérale traverse une crise profonde, se pose la question du cadre juridique de l’exercice de l’activité des médecins libéraux. Dans un contexte d’explosion des dépenses de santé, les médecins libéraux apparaissent comme les premiers destinataires de mesures destinées à mieux contrôler un système de sécurité sociale qui échappe aux pouvoirs publics, au moins sur le plan économique en ce qui concerne les dépenses. La sanction devient dès lors le moyen d’action des instances chargées de contrôler les médecins libéraux. (P 5)
UN CONTROLE SOUS-TENDU PAR L’EXERCICE D’UN POUVOIR DE SANCTION : Le pouvoir de sanction de l’administration de sécurité sociale s’exerce dans le cadre d’une procédure qui apparaît comme inquisitoriale (§1) et est menée spécifiquement à l’encontre des médecins libéraux (§2) (P 15)

570. L’examen de la défense du médecin libéral pendant la phase contentieuse fait apparaître que des règles de fond font défaut au médecin libéral (principe non bis in idem, absence de contrôle de proportionnalité d’une sanction). Les droits procéduraux vont cependant vers plus de justice dans la mesure où la jurisprudence vise la garantie effective de ces droits. Les exigences du droit à un procès équitable s’imposent à tous les stades de la procédure de sanction d’un médecin libéral, mais posent particulièrement problème pour le respect de la présomption d’innocence et le délai raisonnable de jugement  ; (P 284)

571. Au cœur des relations entre médecins libéraux et assurance maladie, les libertés fondamentales apparaissent comme des règles protectrices permettant de fonder la légalité et la légitimité d’une sanction, dans la perspective plus large de mieux maîtriser les dépenses de santé. Le respect des droits de la défense exige de véritables actions en ce sens comme l’information du médecin libéral ou l’intervention d’un avocat, mais aussi des décisions motivées qui puissent être comprises et éventuellement contestées. Sous l’influence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), l’indépendance et l’impartialité des autorités de sanctions en sont aussi devenues des conditions de légalité. (P 285)

572. La poursuite et la répression du médecin libéral sont en théorie organisées afin de permettre le respect des libertés fondamentales. Pourtant de nombreuses lacunes laissent le médecin démuni face au service public de sécurité sociale et peuvent lui donner l’apparence d’un système inique. Les règles protectrices sont pourtant là, mais devraient semble-t-il être renforcées par des éléments concerts et précis de droit, la première étape étant l’information du médecin libéral sur ses droits et sur la procédure qui l’attend. (P 286)] …

Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, Lyon 3è, CELLULE JURIDIQUE FMF

Références :

Article L4124-2 du Code de la Santé Publique
Modifié par LOI n°2009-879 du 21 juillet 2009 – art. 62 (V)
Modifié par Ordonnance n°2010-177 du 23 février 2010 – art. 14
Les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l’Etat dans le département, le directeur général de l’agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit.
Lorsque les praticiens mentionnés à l’alinéa précédent exercent une fonction de contrôle prévue par la loi ou le règlement, ils ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l’occasion des actes commis dans l’exercice de cette fonction, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l’Etat dans le département, le directeur général de l’agence régionale de santé ou le procureur de la République.

Article R.4127-103 du code de la santé publique : Sauf dispositions contraires prévues par la loi, le médecin chargé du contrôle ne doit pas s’immiscer dans le traitement ni le modifier. Si, à l’occasion d’un examen, il se trouve en désaccord avec le médecin traitant sur le diagnostic, le pronostic ou s’il lui apparaît qu’un élément important et utile à la conduite du traitement semble avoir échappé à son confrère, il doit le lui signaler personnellement. En cas de difficultés à ce sujet, il peut en faire part au conseil départemental de l’Ordre.

Article 434-15 du Code pénal Modifié par Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 – art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002 Le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manoeuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, même si la subornation n’est pas suivie d’effet.