Hippocrate et la confraternité

Ces quelques mots sont tirés de l’article 56 du code de Déontologie Médicale ; il est repris in extenso dans l’article R.4127-56 du code de la Santé Publique comme d’ailleurs la totalité du code de Déontologie Médicale qui a donc force de loi. Cette phrase fait référence au texte originel, le serment d’Hippocrate :

« …J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité… »

Au delà des lois, la fraternité au sein d’une profession côtoyant la souffrance, l’espoir, la vie et la mort devrait être un ciment indéfectible. Mais dans la vraie vie, notamment dans notre pays, tant au niveau de l’exercice libéral qu’hospitalier, les difficultés d’exercice, la sélection, la compétition et l’organisation réglementaire ont tendance à favoriser l’individualisme et le repli sur soi pour ne pas dire l’égoïsme, négligeant de regarder au delà de ses propres problèmes, de porter un œil attentif et bienveillant à l’entourage de travail.
Quand un confrère va mal, il est du devoir des collègues qui s’en rendent compte de l’aider directement ou de solliciter les structures en place susceptibles d’apporter cette aide. Beaucoup hésitent assimilant cette action à une « délation » alors que c’est tout le contraire surtout quand il en va de sa vie !

Les professions de santé exposent particulièrement aux risques psycho-sociaux et à l’épuisement professionnel (40% des médecins en seraient atteints à des degrés divers au cours de leur carrière) et les signes d’appels sont visibles pour l’entourage d’un professionnel qui va mal. Par entourage, j’entends les collègues, les proches…
Toute personne engagée dans une relation d’aide à autrui, ce qui est le cas des soignants, est soumise à une usure professionnelle ; et les causes sont multiples : démographiques (manque de médecins) et la surcharge de travail qui va avec, horaires hors normes (moyenne hebdomadaire de 65h pour un MG et de 80h pour un interne qui enchaîne souvent semaines harassantes et gardes de week-end), contraintes administratives (pressions des CPAM à l’image de ce que nous avons appelé le « délit statistique  »), exigences des patients, incivilités, soucis familiaux, et autres problèmes financiers représentent des facteurs de risque souvent associés à l’origine d’un alourdissement de la charge émotionnelle, intellectuelle et de travail, aboutissant inexorablement à un état d’épuisement professionnel.
L’épuisement physique et intellectuel se manifestent par des troubles du comportement qu’il faut savoir repérer : changement de la thymie, isolement, apathie, anxiété, dépression ou nervosité, émotivité, parfois exacerbée avec pleurs incontrôlés, dévalorisation, anorexie, insomnies, addictions (problématiques pour les médicaments parce que le professionnel peut s’auto-prescrire). Le risque majeur étant le suicide, et une étude révéle que 14% des décès de médecins en activité seraient liés à un suicide consécutif à un épuisement.

Parallèlement le professionnel de santé est victime de ce que j’appelle le « syndrome de superman », il ne peut être concerné par la maladie, réservée aux autres. je me souviens de la remarque d’une consœur victime d’une pathologie grave : « … tu comprends, j’ai franchi le miroir » me disait-elle. Facteur aggravant, le fait de « craquer » nerveusement est vécu de façon péjorative aggravant le sentiment de dévalorisation : « je ne suis pas à la hauteur » «  je n’arrive pas à résister à la pression, comme les autres » …

L’entraide fait partie des missions de l’Ordre des médecins et dans chaque département il existe une commission dédiée plus ou moins active. Mais l’Ordre est vécu prioritairement par les confrères dans sa mission disciplinaire et trop peu connaissent celle de l’entraide. Par ailleurs, les médecins craignent par dessus tout le risque d’atteinte à la confidentialité.

Aussi, un certain nombre de médecins se sont mobilisés au sein de syndicats comme la Cellule Juridique d’ESPACE GÉNÉRALISTE dès 2005 qui intègrera par la suite la FMF, mais aussi au sein d’associations comme notre regretté confrère Yves Léopold en PACA. Ils se sont emparés de cette problématique et un peu partout en France sont nées des associations régionales d’entraide comme MOTS en Midi-Pyrénées en 2010 qui couvre aujourd’hui les 2/3 du territoire, le réseau ASRA en Rhône-alpes (2012)…

Ci-dessous la liste non exhaustive de ces structures :

La création du réseau ASRA (pour Aide aux Soignants en Rhône-Alpes) remonte au 2 mai 2012 ; son originalité repose sur une astreinte 24h/24, 365 jours par an assurée par une quarantaine de médecins volontaires (confrères de soutien) qui, s’ils ne sont pas en mesure d’apporter une réponse peuvent réorienter dans les meilleurs délais l’appelant vers la « personne ressource » la plus apte à prendre en charge le problème de l’appelant.
Les médecins d’astreinte disposent d’un listing régulièrement mis à jour des personnes ressources classées par département et par spécialité. Je précise que depuis la réunification des régions Auvergne et RA, ASRA a étendu son action sur les 12 départements de la nouvelle région (AuRA) et même sur le département voisin de la Saône et Loire.
Les principales ressources d’ASRA classées par spécialités :

  • Addictologues,
  • Experts comptables,
  • Juristes,
  • Médecins du travail,
  • Représentants des autres professions de santé,
  • Psychiatres,
  • Ressources d’hospitalisation,
  • Ressources institutionnelles

Le réseau ASRA s’est également ouvert aux étudiants (externes et internes en médecine) et aux autres professions de santé (chirurgiens dentistes, sages-femmes, kinésithérapeutes…) intégrant au niveau des personnes ressources des représentants de ces professions aptes à apporter des réponses à leurs spécificités d’exercice.
De leur côté, les pharmaciens ont monté leur propre « outil » d’entraide exactement sur le modèle d’ASRA qu’ils ont sollicité pour cela : ADOP (Aide et Dispositif d’Orientation des pharmaciens).
https://adop.help/home – 0800 73 69 59 – mail : contact@adop.help

ASRA assure la formation régulière de ses confrères de soutien (voir sur le site du réseau).

Enfin ASRA a des liens étroits avec des services d’hospitalisation complète ou en hôpital de jour, spécialisés dans la prise en charge des soignants et une solution de Télé Consultation avec des psychiatres dans les situations d’épuisement professionnel est en cours de finalisation :(MOOD’UP).

  • Clinique de Châtillon-en-Michaille avec son USPS (Unité de Soins pour Professionnel de Santé) au Nord-Est du département de l’Ain : https://www.cliniquedechatillon.fr/
  • PSYPRO sur Lyon, hôpital de jour, 20 Rue Général Dayan, 69100 Villeurbanne Tél : 04 72 43 33 00,
  • MOOD’UP et son site (en construction) : https://prevention-soignant.fr/

Comme vous le constatez les professionnels de santé ne sont pas tous restés inactifs sur cette problématique, les offres et structures sont nombreuses encore faut-il assurer la continuité de cette chaîne de solidarité qui a besoin de TOUS ses maillons, par exemple demain l’un d’entre vous qui va repérer un soignant en difficultés et lui tendre la main en le persuadant de se faire aider ou en enclenchant la chaine de solidarité : il suffit de composer le n° d’une structure d’entraide, ASRA en AURA : 0 805 62 01 33

Dr Marcel, GARRIGOU-GRANDCHAMP, Lyon 3è, Conseiller Ordinal 69, Réseau ASRA, CELLULE JURIDIQUE FMF