France Santé : l’innovation organisationnelle au service du protocole de substitution.

Il était 9h00, ce 19 novembre 2025, lorsque l’on annonça que le Protocole de Substitution allait enfin pouvoir commencer.

Tout le monde se réjouit : depuis des semaines, on attendait le moment où chacun pourrait exercer le métier de chacun,
puisque cela semblait, dans la logique du moment, la meilleure façon d’améliorer l’accès aux soins.
Et surtout depuis que le territoire s’ornait fièrement de ses nouvelles Maisons France Santé,
où l’on expliquait que le premier recours devait désormais être “repensé”.

On commença donc par distribuer les rôles :
le pharmacien prit la fiche “soin de plaie”,
l’infirmière hérita du formulaire “orientation”,
et le médecin reçut la tâche importante de “vérifier les stocks de compresses”,
afin que personne ne se sente lésé.

À 9h12, le premier patient entra, la jambe entaillée.
On le dirigea naturellement vers le coin consacré aux “situations courantes” —
un espace de la Maison France Santé qui ressemblait beaucoup à un petit comptoir réaménagé,
mais que l’on appelait désormais “pôle de premiers recours”.

Le pharmacien consulta l’arbre décisionnel :
Case 1 : “La plaie est-elle visible ?”
— Oui, répondit-il avec une assurance clinique toute récente.
Case 2 : “Présente-t-elle un saignement ?”
La réponse semblait positive,
même si l’on hésita un instant sur l’intensité exacte,
car aucun indicateur colorimétrique n’était fourni dans le protocole.

À 9h23, l’infirmière proposa de regarder la plaie.
On lui expliqua gentiment que son intervention n’était pas prévue dans la version actuelle du dispositif,
et qu’il ne fallait pas perturber la fluidité des tâches nouvellement partagées dans le cadre de France Santé.

Le médecin, de son côté, termina l’inventaire des compresses.
Il en manquait trois.
Il le nota avec sérieux, afin que personne ne puisse dire qu’il n’avait pas contribué à l’amélioration du parcours de soins.

À 9h31, le choix du pansement était arrêté.
On hésitait entre “le plus adapté” et “le plus disponible en promotion”,
mais la promotion présentait l’avantage de soutenir la dynamique “d’innovation organisationnelle”.
On opta donc pour le modèle innovant,
puisque l’innovation était, selon la brochure de la Maison France Santé, la clé de la transformation.

Lorsque le patient revint deux jours plus tard avec une jambe visiblement aggravée,
on en conclut que cela démontrait l’importance du suivi,
preuve éclatante que le dispositif fonctionnait :
si le patient revenait,
c’est qu’il faisait confiance à l’offre de premier recours nouvelle génération.

Une réunion d’évaluation fut programmée.
Les participants se félicitèrent unanimement :
grâce à cette répartition moderne des compétences,
chacun avait pu s’exercer à une profession qu’il ne maîtrisait pas,
et le système avait gagné en fluidité,
même si l’on ignorait encore dans quel sens.

Le médecin proposa alors de reprendre son rôle d’avant.
On lui répondit que ce serait dommage de casser une dynamique aussi prometteuse.
L’infirmière suggéra de revoir les critères d’évaluation clinique.
On l’encouragea vivement à rédiger une note en vue d’un futur protocole définissant
quand et comment rédiger une note.

Il était 10h05 lorsque tout fut clos.
La Maison France Santé gagnait en visibilité,
le protocole en versions successives,
et la confusion en maturité.

Rien n’était totalement maîtrisé,
mais tout était partiellement possible.
C’était, paraît-il,
le progrès.

Alors avant de fermer le dossier, quelqu’un proposa d’étendre la démarche aux brûlures, aux conjonctivites, aux tiques,
et à tout ce qui pouvait s’attraper sans rendez-vous.
L’idée plaisait :
elle permettait enfin de répondre aux besoins de premier recours
sans jamais s’occuper des compétences qui vont avec.

On nota soigneusement la conclusion dans un dossier épais, consacré aux “bonnes pratiques d’innovation organisationnelle”.
On y ajouta :
« Ne surtout pas confondre faire quelque chose et savoir faire.
Le premier coûte moins cher.
Le second demande des professionnels. »