Droit médical et pratique de la médecine : du nouveau en termes de preuve et de responsabilité

Historique de la responsabilité

A l’origine, ou presque, le régime de la responsabilité médicale résultait du célèbre arrêt Mercier de 1936 dans lequel la Cour de cassation affirmait que la relation médecin/patient était de nature contractuelle. Ce principe obligeait le praticien a une obligation de soins et de moyens (civ. 20 mai 1936)

Depuis la loi du 4 mars 2002, la responsabilité médicale ne relevait plus d’une problématique contractuelle, mais d’un principe délictuel autonome (article L. 1142-1, i, alinéa 1er, du Code de la santé publique). Cet article prévoyait que les professionnels de santé n’engagent leur responsabilité personnelle qu’en cas de faute (hors le cas ou leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé).

Toutefois, il était nécessaire de prouver la faute… et c’est en cela que l’arrêt rendu le 16 octobre 2024 par la première chambre civile, semble venir poser le principe d’une présomption de faute.

Une décision majeure

La décision récente de la Cour de cassation a été rendue dans un dossier de chirurgie orthopédique. La décision contestée avait pour cadre la survenue de complications après rupture d’une broche guide métallique. Les juges du fond se sont basés sur le rapport d’expertise, et les recommandations de la Société Française d’Arthroscopie qui recommande de commencer l’intervention en question par une introduction d’air puis de sérum physiologique dans l’articulation. Or, le compte-rendu opératoire ne mentionnait pas ce geste, alors que le chirurgien avait indiqué y recourir systématiquement. La Cour d’appel (Aix-en-Provence, 29 septembre 2022) en a initialement déduit que le dommage subi par le patient pouvait avoir deux origines : son anatomie ou un manquement du praticien, qui n’aurait pas suivi les recommandations de la société savante. Mais, dans la mesure où cette dernière explication n’était qu’une hypothèse, non avérée ou prouvée, selon les règles de responsabilité actuelle, la faute du chirurgien n’était pas démontrée.

La Cour de cassation a annulé cet arrêt (Civ. 1, 16 oct. 2024, n° 22-23.433, au visa des art. L.1142-1, I, al. 1er CSP et 1353 C. civ) en rappelant que le médecin a « l’obligation d’accomplir des actes de soins appropriés », c’est-à-dire conformes aux données acquises de la science, tout en statuant que le manquement à cette obligation pourrait être présumé, dans l’hypothèse d’un compte-rendu opératoire incomplet, le patient n’ayant pas été en mesure de s’assurer que les soins ont bel et bien été appropriés.

Le renversement de la charge de la preuve

En statuant ainsi, la Cour de cassation a inversé la charge de la preuve, en exigeant des professionnels de santé qu’ils démontrent que des soins apportés étaient adaptés, en l’absence d’informations suffisantes ; ce qui instaure une forme de présomption de faute en cas de compte-rendu lacunaire.

Cette décision marque un tournant majeur en termes de responsabilité, et pose la question de nouveau de l’insuffisance du recueil de l’information dans le cadre de la prise en charge médicale. De fait, il incomberait désormais au médecin de démontrer que les soins apportés sont conformes aux données acquises de la science, comme le rappelle l’article R. 4127-8 du code de la santé publique.

En imposant au médecin de rapporter la preuve qu’il n’a pas commis de faute, la Cour fait désormais peser sur lui une présomption de faute. Ce principe simple pourrait être difficile à réfuter devant un juge, surtout si désormais, le compte-rendu est incomplet.  On pourrait aussi s’interroger légitimement sur ce qui constitue la véritable faute : est-ce le non-respect des recommandations scientifiques ou la rédaction insuffisante du compte-rendu qui est en cause ? Cette complexité pourrait donc bien transformer la preuve d’un fait négatif en ce que les juristes appellent la probatio diabolica, et encourager les patients à engager des actions en responsabilité médicale, sachant que la charge de la preuve peut être renversée en leur faveur, en cas d’insuffisance d’informations fournies par les professionnels de santé.

Conclusion

La récente décision de la Cour de cassation vient de modifier profondément les règles de la responsabilité médicale. Ce renversement de la charge de la preuve aura des répercussions majeures sur notre pratique. Si cette approche est favorable aux victimes d’accident médicaux, elle impose un défi aux professionnels de santé, car il n’est pas aberrant de craindre l’extrapolation de cette appréciation à d’autres comptes-rendus, ou à d’autres pratiques médicales.

Il est donc essentiel pour les praticiens d’être encore plus rigoureux dans le recueil du consentement, la rédaction des dossiers médicaux, et dans l’établissement de la preuve de l’information. C’est ainsi qu’il sera possible de prouver éventuellement qu’ils ont suivi les recommandations et les protocoles appropriés. Car en cas de litige, les professionnels de santé devront démontrer que les soins prodigués étaient appropriés (surtout en l’absence ou en cas d’insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient).

Rappelons enfin que le caractère approprié des soins renvoie à une obligation fondamentale du médecin : prodiguer des soins conformes aux données acquises de la science.

Références :

Civ. 1re, 16 oct. 2024, F-B, n° 22-23.433

Code de déontologie article 8

Dr F. Clarot, radiologue, médecin légiste