Dimension politique et professionnelle du deconventionnement

Opinion : la dimension politique et professionnelle du déconventionnement 

Depuis l’échec des négociations conventionnelles et l’application du règlement arbitral, le médecin libéral se pose beaucoup de questions. En tête, l’avenir de médecine libérale et l’avenir des négociations conventionnelles.

Dans cet article d’opinion j’aborde les avantages et les inconvénients du déconventionnement.

Depuis cet échec nous avons vu fleurir l’idée de déconventionnement, portée par un syndicat rejoint ultérieurement par les autres y compris la FMF, comme moyen de pression sur l’état. Ce point doit nous ramener à réfléchir sur l’intérêt de la démarche. D’ailleurs il est intéressant de noter que le syndicat qui a lancé cette démarche a pris soin de marquer la phrase ci-dessous sur la première page du site de déconventionnement. Je ne sais pas si cela est fait pour attirer les médecins ou pour la responsabilité ?« ATTENTION : aucune lettre signée ne nous appartient, elle reste votre propriété. L’action de déconventionnement collectif est une action qui vise à peser sur la loi coercitive “Valletoux” et à construire un Secteur 3 dont tous les patients bénéficieront. » (1).

Je me demande comment tous les patients pourront bénéficier de la construction d’un dispositif déjà inégalitaire, sauf inventer un nouveau secteur avec le remboursement de la sécurité sociale.

Un déconventionnement avec l’objectif fixé à 15000-18000 est inefficace car les médecins déconventionnés vont tirer une balle dans le pied, pour une simple raison : la sécurité sociale finance 70% de leur patientèle. Il est évident qu’une fois le médecin déconventionné il deviendra un chef d’une petite entreprise. la logique de déconventionnement consiste à permettre de pratiquer des prix plus élevés que ceux négociés avec la Sécu, cela signifie qu’il faut trouver suffisamment de patients prêts à payer bien plus, par exemple 50 euros par consultation et, surtout, acceptant de ne pas être remboursés (2).

En 2021, la Sécurité sociale finançait 79,2 % des dépenses liées aux médecins généralistes de ville et 69 % des dépenses liées aux médecins spécialistes (2). Le solde était versé soit par les assurances complémentaires, soit directement par les ménages. Donc L’idée du déconventionnement est séduisante mais quitter la sécurité sociale est une pratique qui s’avère périlleuse.

Un autre danger à long terme guette les médecins libéraux en cas de non-conventionnement. En perspective du projet de loi de financement de la sécurité sociale l’assurance maladie a préparé une trentaine de propositions pour créer une économie de 1,3Md€. Parmi ces mesures « la financiarisation du système de santé » c’est-à-dire la création des centres de soins privés de ville par des groupes financiers pour le moment (Ramsay et Elsan) (3), qui seront placés sous la tutelle des ministères de la santé, de l’économie et des Finances et de la justice pour renforcer le contrôle de l’état (1,3). Néanmoins ma conviction est que l’appel au dé-conventionnement massif des médecins libéraux va servir ces groupes pour contrôler la médecine libérale de ville. Le déconventionnement va fragiliser financièrement le médecin libéral ouvrant largement la porte à ces centres privés pour recruter des médecins salariés quand la pression financière sera forte sur le médecin non-conventionné (3). On comprend mieux maintenant pourquoi des groupes financiers qui dirigent les établissements de santé privé commencent a investir dans la création des centres de santé de ville (3).

Je crains que ce déconventionnement est une grande désillusion voir à mon avis un danger pour la médecine libérale d’une part parce qu’un médecin secteur 1 peut le faire et il est inintéressant pour le secteur 2, et d’autre part la médecine de ville risque d’être phagocytée par les centres privés avec des médecins salariés.

Néanmoins la sécurité sociale risque de conventionner uniquement les médecins dans les zones où elle a besoin permettant au ceux qui ne veulent pas de ces zones d’être non conventionnés.

L’argument de dire que la pénurie de médecins est favorable au déconventionnement est sans fondement. La loi Valletoux envisage de faire un bypass sur ce sujet par deux mesures phares le glissement de tache vers les infirmières de pratique avancée, en conservant la responsabilité du médecin et faciliter l’installation des médecins diplômés hors union européenne (4). C’est pourquoi les groupes financiers commencent avec la bénédiction de l’état de vouloir investir la médecine de ville. Cela est déjà vu pour les laboratoires de biologie, la radiologie, la radiothérapie, et probablement bientôt sera le tour des pharmacies. Par ailleurs, les centres dentaires et d’ophtalmologie créés par des groupes financiers, avec des praticiens salariés sont partout. On connaît les dérives de ces centres, et l’encadrement par loi de 19 mai 2023 va favoriser l’arrivée de groupe financiers moins scrupuleux mais les praticiens resteront salariés.

Pour conclure, rien n’a jamais empêché les médecins de s’installer d’emblée hors convention et d’être complètement libéraux. Cependant, malgré l’insatisfaction des médecins et ils ont entièrement raison, le contexte en France ne permet pas pour l’instant le secteur 3 et la menace de déconventionnement n’est pas forcément là où on l’attend. Il est évident qu’un déconventionnement peut favoriser un modèle libéral à l’Américaine fondé sur le marché de la concurrence et lié à l’assurance privé et l’emploi où un nombre important de citoyens sera non assuré.

Enfin, je m’interroge sur les ambitions politiques derrière le lancement de l’idée de déconventionnement.

 

Dr Bassam Al Nasser

Clinique du Parc Saint Lazare

3 avenue Jean Rostand

60000 – Beauvais

 

Références (Les pages sont consultées le 01/07/2023)

  1. https://deconventionnement.fr
  2. https://www.alternatives-economiques.fr/nicolas-da-silva/deconventionnement-medecins-liberaux-menace/00105915#:~:text=besoin%20de%20lui%20%3F-,En%20réalité%2C%20le%20déconventionnement%20est%20peut%2Dêtre%20plus%20une%20menace,conventionnement%20en%20médecine%20de%20ville.
  3. https://www.lesechos-etudes.fr/blog/actualites-21/ramsay-sante-va-developper-ses-centres-de-soins-en-medecine-de-ville-11267
  4. https://www.vie-publique.fr/loi/289899-acces-aux-soins-deserts-medicaux-proposition-de-loi-valletoux