« Ce sont les gens dits indéfendables qui ont besoin d’être défendus »

Autant on peut s’attendre à ce genre de commentaire dans une discussion de comptoir, autant elle m’interpelle quand elle est le fruit de la réflexion d’un haut dirigeant, ici de l’assurance maladie.

J’ai toujours défendu à titre personnel, et c’est la position de la FMF, l’idée que tout professionnel de santé qui en fait la demande a droit à l’assistance juridique du syndicat parce que c’est le fondement même de la justice de notre pays, et des règles d’un état de droit démocratique.
C’est l’honneur de la FMF que d’apporter une assistance à tout ceux qui en font la demande, et pour les médecins c’est aussi un devoir déontologique que je veux rappeler ici : « … Les médecins se doivent assistance dans l’adversité … » (art 56 du code de déontologie médicale, repris dans le code de la santé publique : art 4127-56).

Penser que tout citoyen ne puisse accéder à une défense loyale et efficace c’est penser à la manière des pays totalitaires et ce n’est malheureusement pas les exemples qui manquent sur terre.
Penser que certains professionnels de santé ne « méritent » pas une défense dans le cadre de leur exercice c’est aussi faire abstraction du point 6 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946 : « … Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix … » mais aussi la Déclaration Universelle des droits de l’homme, fondement de notre Constitution qui affirme dès son premier article « … l’égalité devant la loi de tous les citoyens … »

A la réflexion, les partisans de la « défense qui se mérite » confondent droit et morale mais le droit ne laisse pas de place à la morale et en matière contentieuse ce qui prévaut c’est le droit, rien que le droit et dans le strict respect de ses procédures : «  le président m’a sèchement coupé la parole quand je me suis avancé sur le terrain de la morale en me disant Maître, nous ne sommes pas ici pour faire de la morale, mais du droit  ». J’ai retenu la leçon. La loi, rien que la loi. (Maître EOLAS, journal d’un avocat).
Un brin provocateur au point que j’ai utilisé sa citation en titre, je veux ici faire un clin d’œil à Jacques VERGES qui pensait que « ce sont les gens dits indéfendables qui ont besoin d’être défendus. »

Sans défense il ne peut y avoir d’équilibre, et le fléau de la balance va inévitablement pencher du côté de l’accusation la rendant suspecte du seul fait de l’absence de contradiction !
Sans défense c’est la porte ouverte à tous les excès, à la dictature de ceux qui veulent imposer leurs vues et en matière de droit de la santé les médecins doivent déjà faire face à un tel mille-feuilles de textes empilés par des parlementaires qui n’ont pas toujours suffisamment analysé leur légalité !
Et tous les juristes qui s’y sont penchés sont ébranlés par le traitement réservé aux médecins notamment dans le cadre des juridictions réglementaires ou disciplinaires comme la section des affaires sociales (SAS) des conseils de l’Ordre :

Ainsi Jacques VITTEMBERG, (avocat au Barreau de Paris) évoque à leur sujet :

  • « Le cumul des fonctions partie plaignante et témoin, une procédure contraire aux droits fondamentaux (Bien qu’une jurisprudence du Conseil d’État du 14 mai 1926 confirme que les parties ne peuvent évidemment pas être entendues comme témoins, c’est la base des procédures dans le cadre de l’art 315 du code de la sécurité social !)
  • L’absence de réponse aux moyens soulevés par la défense : les témoignages favorables à la défense sont systématiquement retirés.
  • Une procédure inquisitoriale… »
  • Et je rajouterais à titre personnel un rapporteur qui ne reprend pas l’instruction et se contente de celle à charge proposée par le service contentieux de l’assurance maladie.
    « La maîtrise médicalisée des dépenses de santé mérite-t-elle ce régime d’exception dans la France de la Déclaration des droits de l’Homme ? Et le code des tribunaux administratifs serait-il un ouvrage subversif et interdit ? Quelle est la finalité de cette situation ? Les médecins perçoivent très mal leur exclusion de l’État de droit, alors que leur collaboration est indispensable pour la réussite de la maîtrise des dépenses de Santé. » (Jacques VITTEMBERG)

Perle-Marie PRADEL dans sa thèse de droit public (soutenue le 7 septembre 2010 à Angers « Le médecin libéral face au service public de sécurité sociale ») relève le régime de la double peine dont sont victimes les médecins (pénale et disciplinaire) :
« Ces peines applicables au professionnel de santé ne semblent pourtant pas soumises aux garanties offertes par la procédure pénale à l’instar du principe de non-cumul des peines, de la présomption d’innocence, ou la règle non-bis in idem (). La loi semble elle-même interdire le cumul de sanctions pour les mêmes faits : les sanctions susceptibles d’être prononcées par la Section des assurances sociales ne sont pas cumulables avec les peines susceptibles d’être prononcées par la chambre disciplinaire de première instance lorsqu’elles ont été prononcées à l’occasion des mêmes faits »(CSS, article L. 145-2, alinéa 5) . Mais une condamnation pénale amnistiée ne fait pas obstacle à une condamnation pour les mêmes faits par le juge disciplinaire les estimant contraires à l’honneur et à la probité.

Fabrice DI VIZIO commente aussi avec ironie dans son blog le fonctionnement des SAS :
« …j’ai reçu hier une décision de la section des assurances sociales nationales et c’est de pire en pire. 25 pages de mémoire rédigées par des ténors de la procédure administrative pour …. un rejet en une ligne qui est un copier coller de l’argumentation de l’assurance maladie. Mais l’audience laissait présager le pire : moyenne d’âge 70 ans, la moitié des médecins assesseurs comme on dit se laissaient paisiblement bercer par le son de ma douce voix pour terminer leur sieste post prandiale. C’est important la sieste et comme de toute façon, ils ne comprenaient rien au problème de droit soulevé, autant dormir. Ce que je n’avais pas vu, c’est que manifestement, le président aussi était très fatigué ! C’est probablement pour ça qu’il n’a pas répondu à un seul de nos arguments, pas pris la peine de recopier correctement le nom du médecin, pas non plus fait attention à qui plaidait : il était épuisé ! Et on le comprend : Ecouter toute la journée des médecins escrocs, voleurs, c’est épuisant ! Ah si seulement, on pouvait se dispenser d’audience, si seulement, on pouvait même donner à l’assurance maladie le pouvoir de condamner directement ces vilains docteurs : que de temps gagné, que d’argent économisé. Il n’est rien de pire que les droits de la défense pour faire perdre son temps à une juridiction ! … »

Mais le législateur y a pensé cher maître, ce sont les procédures réglementaires et il a ainsi donné tous les pouvoirs aux directeurs de CPAM au travers des articles 162-1-14 et 162-1-15 du code de le sécurité sociale, et ce n’est pas pour rien que la FMF a surnommé cet article «  le délit statistique  » terme repris aujourd’hui par tous les syndicats.
Il s’agit de cibler et contraindre à la baisse les plus forts prescripteurs d’indemnités journalières, de transports sanitaires, de kinésithérapie, voire demain de n’importe quelle prescription. Cette mesure va à l’encontre de la liberté de prescription, et donc de l’intérêt des malades, aussi, pour « l’habiller » d’un semblant de légalité, le législateur a précisé «  à activité comparable  » mais à trop vouloir bien faire …
Ce sont les directeurs de CPAM qui sont en charge de ces procédures réglementaires, c’est-à-dire les services administratifs de l’assurance maladie, mais seuls les services médicaux pourraient comparer valablement l’activité des médecins !
L’article L162-1-15 est donc mal-né car non juridiquement applicable !

Le directeur de la CPAM pouvant par ailleurs sanctionner les médecins (directement en cas d’obstruction via l’article L162-1-14) ou à la 2è récidive pour l’art L162-1-15, ce dernier article ne respecte pas la constitution selon la jurisprudence du conseil constitutionnel (ARCEP ; décision n° 2013-331 QPC du 05/07/2013) et la cellule juridique de la FMF attend avec impatience la décision du conseil constitutionnel aux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) déposées sur le sujet (le conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la constitution la possibilité pour un même organisme d’instruire et de sanctionner un contrevenant ce que font pourtant les directeurs de CPAM dans le cadre de ces procédures).

Alors pour terminer en forme de provocation je pense qu’il reviendrait plutôt à l’assurance maladie de mieux choisir qui elle poursuit étant donné que le simple ciblage statistique ne respecte pas la loi !

Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, Lyon 3è, CELLULE JURIDIQUE FMF

() Pas deux fois pour la même chose