Lorsqu’on parle de désertification médicale, on parle bien d’un problème d’accès au médecin.
Le glissement de langage qui consiste à parler d’accès aux soins au lieu d’accès au médecin lorsqu’on parle de désertification médicale est une manipulation redoutable qui laisse croire que l’accès à un soignant pourra remplacer l’accès à un médecin.
Mais commençons par le début. Face à la baisse démographique médicale, qui est le fruit rappelons-le d’une politique de gestion comptable des dépenses de santé, le système conventionnel a aujourd’hui 3 moyens d’agir :
1- Augmenter le nombre de médecin, c’est-à-dire :
- en former plus, c’est-à-dire ouvrir le numerus clausus ( mais c’est long) ;
- ou en importer (mais c’est impopulaire) ;
- il y a aussi l’option d’envoyer des internes corvéables à merci dans les déserts médicaux…
2- Faire travailler plus les médecins disponibles, c’est-à-dire :
- bloquer (voire baisser) la valeur de chaque acte (pour inciter à travailler plus pour maintenir un revenu ou gagner plus),
- introduire le paiement par capitation (pour ne pas faire augmenter le nombre de consultation auprès des mêmes patients, mais augmenter le nombre de patients soignés).
- ne surtout pas salarier les libéraux (déjà qu’ils ne sont pas nombreux, ils ne faudrait pas qu’ils passent aux 35 heures et bénéficient d’arrêts maladie).
Remarquons au passage la défiscalisation sociale et fiscale des actes à partir d’un certain chiffre d’affaire n’a pas été proposée, la tradition faisant préférer le bâton à la carotte. Pourtant nos heures supplémentaires, qui sont les plus difficiles, sont aussi paradoxalement les plus taxées. Personnellement cela ne m’incite pas à bosser plus…
3- Obliger les médecins à déléguer, avec ou sans leur contrôle.
Hors contrôle médical, le législateur a déjà pris une lourde responsabilité morale en autorisant des transferts de tâche à des soignants non médecins : prise en charge de l’angine et de la cystite par le pharmacien, de la lombalgie et de l’entorse par le kinésithérapeute…
Est-ce méconnaître qu’ un patient consulte pour un symptôme ? Que l’angine, la cystite, la lombalgie ou l’entorse ne deviennent des diagnostics qu’après évaluation médicale ?
Le public est prêt à entendre que les médecins seraient contre ce transfert de tâche par pur mercantilisme alors que c’est le premier qui va en subir les conséquences. Attendons donc simplement les premières plaintes (phlegmons et cancers du pharynx à TDR négatifs, massages lombaires de coliques néphrétiques, de pyélonéphrites, de métastases osseuses…) et la majoration des assurances des professionnels concernés. Le législateur ne sera pas mis en cause, responsable mais pas coupable.
En fait, ce transfert de tâche poursuit deux objectifs à court terme : le premier est celui de diviser les soignants en créant l’illusion d’une concurrence. Le second est celui de faire croire à un risque de disparition des médecins de premier recours s’ils ne gardent pas le contrôle du transfert de tâche.
Le message est clair : déléguez, prenez des assistants médicaux, créez des CPTS ou vous disparaîtrez du système.
Oui mais de quel système parle-t-on ?
Celui d’un système de santé public garantissant l’accès aux soins pour tous, à flux élevé, où un médecin libéral (pour ses horaires de travail, pas pour sa liberté) sera autant coordinateur qu’effecteur dans des structures pluridisciplinaires, dans des CPTS ou des cabinets de groupe devenus dispensaires…
Pourtant il est prévisible que face à cela, se développera une offre privée garantissant l’accès au médecin pour ceux qui en auront les moyens, en partenariat avec des opérateurs privés mutuelles ou assurances (puisque les médecins ne sont pas assez unis pour se déconventionner massivement de façon coordonnée).
Système privé qui permettra aux médecins d’exercer comme ils savent le faire, sans tout réinventer, ce qui peut être très attractif. Peut-être en restant libéraux, peut-être en devenant salariés, puisque le prix de vente de leur compétence par les assureurs leur permettra une rentabilité à 35 heures… Si les médecins ne savent pas se vendre, les assureurs sauront le faire pour eux.
Finalement, si je suis assez optimiste pour l’avenir des médecins, je le suis un peu moins pour celui des patients.
Quant aux syndicats, il me semble important qu’ils ne se focalisent pas uniquement sur le système public qui les subventionne, mais qu’ils anticipent la construction d’un nouveau modèle libéral en partenariat avec les opérateurs privés. Car c’est peut-être aussi cela « Ma santé 2022 ».