« PRO » c’est dur !

Cet article n’est pas une fiction. Des négociations sont en cours actuellement entre l’UNCAM et les pharmaciens :

« Soit le médecin envoie le patient chez le pharmacien avec une ordonnance d’antibiotiques et c’est au pharmacien de réaliser le test pour savoir s’il faut ou non lui donner l’antibiotique, soit le patient vient à l’officine avant de consulter et le pharmacien, après avoir réalisé un questionnaire normé, réalise le test et, en fonction du résultat, envoie le patient chez le médecin », a expliqué à APMnews Philippe Besset, président de la FSPF, qui se réjouit que les officinaux se voient confier cette « nouvelle mission importante, en coordination avec les médecins traitants ».


Voilà encore un nouveau pas en avant de nos vaillants énarques !

Ils ont raison, bien sûr ! Il ne faut pas hésiter à faire un pas en avant… surtout quand on est au bord du gouffre !

Et tout est bon pour contourner le médecin, surtout s’il est libéral… moins peut-être s’il est hospitalier, encore que…

La dernière en date c’est la prise en charge des angines : Il est vrai que cela représente une masse de patients concernés, il est vrai aussi que bactérienne ou virale, la plupart des angines vont guérir toutes seules, sans complications et sans séquelles, et même sans traitement. La plupart, certes, mais pas toutes : L’angine n’est pas grave en soi, elle est grave par ses complications, et elle est grave si elle survient chez quelqu’un de fragilisé par une autre maladie. 

Et on aura vite fait de dire « tout ça vient d’une angine mal soignée ». 

Cependant, et pour des raisons purement économiques, on aimerait bien ne traiter que celles qui auraient pu mal tourner sans antibiotiques. Seulement il y a un problème : Comment les déceler ?

Et c’est là qu’arrive le fameux strepto-test avec l’idée de faire prendre en charge cette pathologie par des non-médecins, avec plusieurs erreurs de raisonnement qui s’enchainent et qui finissent par conduire à soigner un résultat de test, en oubliant que c’est surtout un malade que l’on soigne. On le soigne dans le but qu’il soit moins malade, on le soigne parce qu’on n’a pas envie qu’il s’aggrave (et au passage, lui non plus). Et un malade, ce n’est pas un bout de papier, ce n’est pas non plus un résultat de test que l’on cherche à négativer.

Faire ainsi de la médecine sur des tableaux Excel me semble excessivement dangereux (pour le patient, pas pour les tableaux Excel). Et lorsqu’on ose proposer des arbres décisionnels qui font fi de la clinique et qui en plus reposent sur des idées fausses, il y a de quoi être inquiet. 

Mais c’est bien connu, les gens qui nous gouvernent et se targuent d’être « responsables » ne sont jamais coupables. Nous dirons donc simplement qu’ils sont responsables de trois erreurs de raisonnement :

  • Première erreur de raisonnement : « seules les angines à streptocoques peuvent devenir graves et seules les angines à streptocoque nécessitent un traitement antibiotique ».
  • Deuxième erreur de raisonnement : « Si le strepto-test est négatif, c’est qu’il n’y a pas de streptocoque »
  • Troisième erreur de raisonnement : « Plus besoin de savoir reconnaitre une angine pour bien la soigner, il suffit de savoir faire un strepto-test ».

Reprenons ces trois points, d’abord pour montrer qu’ils ne sont pas valides, nous verrons ensuite comment, si on les tient pour vrais, cela peut conduire à faire des « impasses » source d’erreurs, puis d’accidents et de complications non négligeables.

1°) « Seules les angines à streptocoques peuvent devenir graves » : La plupart des phlegmons sont dus à des germes anaérobies, impossibles à identifier par le strepto-test, et souvent difficiles à mettre en évidence par la bactériologie classique.
2°) « Si le strepto-test est négatif, c’est qu’il n’y a pas de streptocoque » : Eh bien NON, si le strepto-test est négatif, cela veut dire qu’on n’a pas mis de streptocoque en évidence, cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas : le résultat de ce test n’a de valeur que positif. C’est comme la biopsie dans le cancer : si la biopsie est positive, c’est qu’il y a un cancer, mais si la biopsie est négative, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de cancer, ça veut simplement dire qu’il n’y en a pas sur le petit bout prélevé.
3°) « Plus besoin de savoir reconnaitre une angine pour bien la soigner, il suffit de savoir faire un strepto-test »  : Il n’y a que les gens qui n’ont jamais soigné personne qui peuvent affirmer une telle ânerie. La clinique reste toujours la base de l’exercice médical, et que je sache on apprend toujours aux jeunes médecins que la clinique a toujours raison sur les résultats d’examen, qu’il faut savoir les recontrôler s’ils apparaissent en contradiction avec ce que l’on voit, et ce que l’on constate sur le patient.

Maintenant que l’on a montré que ces trois affirmations étaient fausses, voyons maintenant les conséquences de ce nouveau pas en avant dans la bêtise, et projetons-nous dans l’avenir en supposant le projet adopté : Les pharmaciens auront le droit de « jouer au Docteur », il se peut même qu’ils puissent contrôler le médecin qui a prescrit un antibiotique en faisant un strepto-test, décréter que le médecin est un « gros vilain », et rectifier son ordonnance d’antibiotiques avec la conviction devenue certitude qu’elle est abusive et dispendieuse. On aura au passage vite fait de déclarer le médecin incompétent : « Lui, il ne sait pas, mais moi, avec mon strepto-test, je sais ! »

Donc strepto-test négatif = pas d’antibiotique, CQFD. Si après le malade ne va pas bien, je ne suis pas dans le coup, puisque j’ai appliqué le protocole !

Au fond, c’est facile la médecine, on se demande bien pourquoi il faut huit ans d’études pour faire ça ! D’où l’idée de faire faire la médecine par des machines, qui sont infaillibles pour appliquer un arbre décisionnel. Et si l’arbre décisionnel n’est pas pertinent, la machine n’est pas dans le coup !

Cette foi absolue dans les examens complémentaires est très répandue dans le grand public, et donc dans l’esprit des gens qui nous gouvernent et que nous avons élus pour décider à notre place. Combien de fois avons-nous entendu de nos patients « Docteur, je ne comprends pas, mes examens sont bons, mes radios sont parfaites, et je suis toujours aussi malade ! »

C’est bien connu, la radio, la biologie, c’est le « Deus ex machina ». Il suffit ensuite de mettre tout ça dans un ordinateur, et l’ordonnance est immédiatement télétransmise au pharmacien qui va préparer votre petit sachet de médicaments le temps que vous arriviez ! Ça vous fait sourire ? Comme aurait dit Coluche, « Rigolez pas, c’est avec notre pognon qu’ils font ça », et tout ça est très sérieusement dans les cartons.

Il faut savoir que lorsqu’on décide de ne pas soigner une angine avec des antibiotiques parce qu’elle est réputée virale, on fait ce qu’on appelle « une impasse ». L’impasse quand on joue au bridge, c’est amusant, mais là, il se peut que ça n’amuse pas le patient, qui lui, n’a pas forcément envie de « jouer l’impasse », surtout si c’est sur son dos. 

Vous me direz qu’en matière de soins, on passe régulièrement son temps à faire des impasses. Ne pas vouloir en faire finit aussi par coûter très cher, sans qu’on soit pour autant plus efficace, il faut penser à la iatrogénie. Seulement la différence est de taille entre une « impasse » décidée en toute connaissance de cause, au cas par cas, par un professionnel correctement formé avec un malade qu’il a en face de lui, qu’il connait, et qu’il a quelque chances de revoir si l’impasse rate ; et une impasse décidée sur une large échelle, par des administratifs, qui font porter la décision sur le résultat d’un seul test, qui ne peut pas être à la fois 100% sensible et 100% spécifique, simplement parce qu’un tel test n’existe pas. 

C’est l’automatisation de la décision qui est dangereuse, il est urgent que nos administratifs décideurs en prennent conscience. 

Autre faute de raisonnement : « quand on a mal à la gorge, c’est une angine ». Je vais vous faire un scoop : Dans le cancer de l’amygdale le strepto-test est négatif.

Ah bon ? Mais pourtant le protocole dit : « si le strepto-test est négatif, c’est viral, ça va guérir tout seul »

Il est vrai aussi qu’on peut aussi avoir mal à la gorge quand on n’a rien. Et dans ce cas, c’est sûr que le strepto-test sera négatif. Cependant, ne croyez pas que soigner les malades qui n’ont rien soit une chose facile ; là aussi, il n’y a que ceux qui ne sont pas médecins qui le croient. 

Car, ne l’oublions pas, le malade ne consulte pas parce qu’il a une angine, il consulte parce qu’il a mal à la gorge. Dire : « c’est une angine », c’est déjà faire un diagnostic. 

Et soigner un mal de gorge peut parfois s’avérer plus compliqué qu’il n’y parait. En tout cas, c’est du boulot de Docteur, et dans l’intérêt du malade, il serait souhaitable que ça le reste.

Dr Marc Barthez – ORL – Chambéry