Point-hebdo FMF du 15-05-2025

Chers amis,

Nous voilà au centre de multiples feuilletons de la santé, qu’il va falloir suivre régulièrement si on veut comprendre quelque chose à la stratégie générale (si tant est qu’elle existe). Je vous préviens, je ne ferai pas de résumé « Si vous avez manqué le début ».

D’abord le feuilleton Loi Garot. On vient de terminer la 1ère saison : les députés, du moins 99 d’entre eux (sur 577) ont voté le 07 mai les 2 mesures essentielles : l’interdiction de s’installer dans certains endroits (non encore définis), et la reprise obligatoire des gardes pour tout médecin libéral. Les médecins et futurs médecins ont été auditionnés par M. Garot, ils ont été conviés à une réunion de « conciliation » au Ministère, ils ont rencontré de multiples députés, ils ont tenu une Conférence de Presse le 16 avril, ils ont fini dans la rue le 29 avril. Tous, unanimes, nous leur avons dit, répété, crié : « Ne faites pas ça, ne multipliez pas les interdictions et les obligations. Vous aboutirez à l‘effet inverse : plus personne ne s’installera ». Mais toutes ces actions furent vaines : le Projet de Loi fut voté tel quel, en rejetant tout amendement proposé qui aurait pu ouvrir une porte de négociation. Et tels des héros, ces députés se sont applaudis après le vote. Pitoyable ! La 2ème saison commencera en novembre, avec le passage de cette Loi au Sénat. Sauf si le Sénat en décide autrement …

Car le 2ème feuilleton concerne les sénateurs avec le Projet de Loi Mouiller, voté le 13 mai selon une procédure accélérée. Il reprend la mesure phare du gouvernement : toute installation de médecin, libéral ou salarié d’un Centre de Santé, dans des endroits où « l’offre de soins est particulièrement élevée » sera conditionnée à une autorisation de l’ARS, qui l’accordera à condition d’avoir une activité secondaire en zone sous-dotée. Il n’est plus question de 2 jours mensuels comme annoncé initialement, mais d’un nombre minimal d’actes, non précisé dans le texte. Les spécialistes autres que généralistes en seront dispensés si l’installation remplace un départ ou si leur « recrutement est nécessaire pour maintenir l’accès aux soins ». Pour les médecins déjà installés, on appellera ça une obligation de « Mission de Solidarité Territoriale ». Sauf que là, tous les médecins doivent participer, quelle que soit leur zone d’exercice : « Afin de garantir l’accès aux soins dans des zones considérées comme prioritaires, les médecins libéraux et les médecins salariés d’une structure de soins participent à une mission de service public de solidarité territoriale en dispensant des soins en dehors de leur lieu d’exercice habituel. » Evidemment les médecins hospitaliers, pourtant fonctionnaires, ne sont pas concernés par cette corvée. Vous noterez cette mention importante : il s’agit d’une mission de service public, avec donc un régime assurantiel différent de celui du libéral, notamment sur la RCP et l’accident de travail. Grands seigneurs, les sénateurs prévoient une participation aux frais et investissements rendus nécessaires par cet exercice secondaire, ainsi qu’une indemnisation. Mais ils excluent formellement la possibilité de facturer des suppléments d’honoraires, qui serait pourtant la meilleure incitation. Comme toujours, il ne s’agira officiellement que de volontariat. Cependant, les sénateurs ont envisagé qu’ils pourraient manquer de volontaires, et rassurez-vous, ils ont prévu un arsenal d’obligations : en l’absence de volontaires suffisants, le Directeur de l’ARS pourra les désigner ; si les médecins refusent, ils auront droit à une pénalité qui pourra atteindre la modique somme de 1000 euros par jour de refus. Et pour soumettre les derniers récalcitrants, des réquisitions pourront avoir lieu. Un chapitre spécifique suit pour assouplir les conditions d’autorisation d’exercice pour les Praticiens A Diplôme Hors Union Européenne (PADHUE), ce qui est bienvenu. Et comme les sénateurs sont gentils, le Projet de Loi propose aussi de libérer du temps médical. Non pas en nous délestant des multiples tâches administratives par un secrétariat efficace, mais en déléguant aux autres professionnels de santé « une participation à la prise en charge de situations cliniques fixées par arrêtés », dans le cadre des Centres de Santé et Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP). Avec une valorisation des rémunérations pour les Infirmiers de Pratique Avancée (IPA) qui seront payés au forfait plus à l’acte.

Ce qui nous mène tout droit au 3ème feuilleton : le Projet de Loi « Profession Infirmier », examiné là aussi suivant une procédure accélérée, engagée par le gouvernement le 10 mars. Mais qui est en fait le xième épisode de la loi Rist de 2023. Les missions vont crescendo : on part des missions de base pour arriver à « comment faire de la médecine sans avoir à en subir les longues et difficiles études ».

  • Assurer des consultations et diagnostics infirmiers ;
  • À l’aide d’examens complémentaires et de produits de santé autorisés par arrêté, mis à jour tous les 3 ans ;
  • Dispenser des soins « relationnels » (je ne sais pas ce que ces soins ont de spécifique, mais les infirmiers y tiennent beaucoup) ;
  • Participer à la PDSA ;
  • Participer aux soins de 1er recours en accès direct ;
  • Expérimentation dans 5 départements pendant 3 ans, et limité aux établissements et aux structures d’exercice coordonné, d’une prise en charge directe pour des actes ne relevant pas de leur rôle propre.

Bon, il faut reconnaître que l’avancée vers l’exercice de la médecine est très timorée, mais cela semble suffire aux infirmiers à ce jour.

Parallèlement est paru un arrêté le 30 avril sur une liste de médicaments autorisés à la prescription des Infirmiers de Pratique Avancée (IPA) sans diagnostic médical préalable. La plupart sont en fait des médicaments en vente libre, mais on y trouve la Fosfomycine pour les cystites et l’Amoxicilline pour les angines. Entre les médecins, les infirmiers, les sages-femmes, les pharmaciens, les kinés, les IPA, il va devenir compliqué pour les patients de savoir à qui s’adresser pour un problème de santé ! C’est ainsi qu’on a pu apprendre dans « Vosges Matin » que ce département comptait « 148 spécialistes dont 39 sages-femmes » …

Et pour finir, un nouveau feuilleton qui commence : les Dr Junior. Eh oui, à partir de novembre 2026, les internes de Médecine Générale devront effectuer une année supplémentaire, mais à ce jour rien n’est organisé. On a juste eu quelques propositions ballons-d’essai présentées dans mon dernier Point Hebdo, mais la 1ère réunion, de lancement, n’a eu lieu que le 7 mai. Rien de très clair, mais il semblerait que le gouvernement envisage d’envoyer les Dr Junior dans des cabinets éloignés de ceux de leurs maitres de stage, avec donc des débriefings et des demandes d’avis à distance, sur des patients que l’on n’a jamais vus. C’est tellement lunaire que l’on se demande si on a bien compris.

En résumé, les médecins libéraux et les patients savent depuis longtemps que la situation d’accès aux soins médicaux devient catastrophique, mais nos dirigeants semblent seulement s’en apercevoir et c’est le branle-bas de combat. Chacun y va de SA mesure, sans cohérence avec les autres ni concertation avec les intéressés. A cela s’ajoute la rivalité politique entre le Parlement et le Gouvernement, dont les médecins libéraux font les frais, instrumentalisés par les uns et les autres. Mais ne cédons pas à la morosité, nous savons nous adapter, bien plus vite que nos politiques. Et nous avons toujours la confiance de nos patients, qui nous donne le plaisir d’exercer. Nous aussi nous faisons du soin « relationnel » !

Je vous souhaite une bonne semaine.