Chers amis,
Un petit Point Hebdo s’impose, pour tenter d’éclaircir au mieux la situation au sujet du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2026. Après avoir été profondément remanié par le Sénat, le voici à nouveau à l’Assemblée Nationale qui a déjà approuvé le volet recettes. D’aucuns assurent que le volet dépenses ne sera pas voté. Auquel cas peu de choses changeraient pour nous médecins car nous sommes protégés (ou emprisonnés selon les avis) par la Convention qui nous garantit les montants de nos honoraires et forfaits, ainsi que les remboursements aux patients. En revanche, les négociations conventionnelles cesseraient puisque la Caisse n’aurait plus de budget à répartir. Je ne sais vous dire ce qu’il en serait des revalorisations prévues en janvier, notamment celles de juillet repoussées au 1er janvier par le Comité d’alerte. Pareil pour les associations d’actes autorisées en 2026. A priori, elles devraient être maintenues, car actées dans la Convention.
S’il est voté, que reste-t’il pour nous comme épines irritatives ? Les articles 18 sur l’obligation de recueillir nous-mêmes les franchises pour le compte de l’Assurance-Maladie, et 26 sur la super-taxation des cotisations des médecins S2, avaient été retirés en 1ʳᵉ lecture et n’ont pas été réintroduits.
D’abord l’article 31 qui oblige à consulter le Dossier Médical Partagé (DMP) avant prescriptions d’examens, sous peine d’une amende pouvant atteindre 10 000 euros par an. Pourtant, après le récent piratage des dossiers médicaux hébergés par Weda ou de la plate-forme de téléconsultation Médecin Direct, sans parler de France Travail, puis de la grosse panne cette semaine interdisant l’accès aux dossiers de Doctolib, on peut légitimement s’interroger sur la sécurité des données médicales en ligne. Est-il bien raisonnable de tout inscrire dans ce DMP ?
Ensuite, l’article 43 sur le cumul emploi-retraite qui ferait soutirer de la retraite le montant du bénéfice encaissé au titre de l’activité médicale pour les médecins de moins de 67 ans. À vrai dire, cet article n’est pas clair, car le PLFSS n’a pas le pouvoir de s’immiscer dans la gestion du régime complémentaire géré par la CARMF, ni dans l’ASV qui est un avantage conventionnel. Ne resterait donc concerné que le régime de base ? Mais, l’article ne précise rien en ce sens.
A été évidemment remis dans cette 2ᵉ mouture du PLFSS l’amendement 2568 (voir mon précédent Point Hebdo) sur France Santé, devenu l’article 21bis, malgré l’opposition claire du Sénat. Il semble que ce soit le bébé de ce gouvernement qui n’a rien d’autre d’intelligent à répondre aux difficultés d’accès aux soins. La seule modification par-rapport à la première version est que ce label ne serait proposé qu’aux Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP) et Centres de Santé, et non plus aux Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS). Pourquoi ? Tout simplement parce que le gouvernement a trouvé un représentant des MSP prêt à signer les fameux contrats, sans s’encombrer de l’aval des syndicats officiels qui refusent de valider le principe de devoir accepter dans les 48 h toute demande de soins même injustifiée, au détriment du suivi de nos patients chroniques.
Reste l’emblématique article 24 qui fait l’objet d’une vraie comédie. Je rappelle que cet article donne le droit au Directeur de l’Assurance-Maladie de décider lui-même de baisser les rémunérations des médecins lorsqu’il estime que la spécialité bénéficie d’une « rente économique », c’est-à-dire qu’elle s’est bien organisée pour optimiser son activité avec les tarifs accordés par la Caisse elle-même. Cet article avait été massivement approuvé par l’Assemblée Nationale en 1ʳᵉ lecture. Puis abrogé par le Sénat. Mais réintroduit dans la 2ᵉ version du PLFSS par le gouvernement qui manifestement ne veut plus voir les médecins négocier avec la CNAM. Eh bien, curieusement, ces mêmes députés qui avaient voté pour il y a 2 semaines l’ont maintenant tout aussi massivement rejeté. Que s’est-il passé entre temps ? La menace perçue lors de la belle manifestation à Nice mercredi ? Un éclair de lucidité ? Nul ne sait. La Ministre Stéphanie Rist en a été tellement surprise qu’elle a conclu à une mauvaise compréhension de l’article par les députés et demandé qu’il soit réexaminé ! Le Palais Bourbon transformé en théâtre de Vaudeville. En tout cas, au moment où j’écris, il est toujours inscrit comme « rejeté » sur la liste des articles examinés.
Les péripéties du PLFSS ne doivent pas nous faire oublier la Loi antifraude qui instaure la Mise Sous Objectif (MSO) obligatoire au bon vouloir des directeurs de CPAM et sur n’importe quel sujet. Après approbation par le Sénat, il va arriver à L’Assemblée Nationale en janvier (il suit le trajet inverse du PLFSS, pour être traité plus rapidement). C’est sans doute le sujet le plus grave pour la profession, car il nous impose de travailler dans la terreur d’être ciblés lorsque nous dépassons des limites, que nous ne connaissons pas car fixées unilatéralement par la Caisse en fonction des prescriptions des confrères, puis d’être obligé de sélectionner nos patients sous menace de devoir payer une amende pouvant atteindre 15 000 euros. Existe-t-il une autre profession sommée de payer ainsi 10 000 euros par-ci (le DMP), 15 000 euros par là (la MSO) ? Pourquoi tant d’acharnement sur les médecins ?
Dans cette ambiance, syndicats et Collectifs se sont unis pour définir ensemble les actions à mener pour montrer notre détermination à ne pas nous laisser imposer nos modes d’exercices. A partir du 10 décembre, date d’entrée en vigueur de la baisse des forfaits de radiologie, les premiers punis, nous commençons une guerilla :
- Tous les médecins de plus de 60 ans, voire tous les médecins selon accords locaux, envoient un courrier aux ARS pour informer de leur cessation d’activité dans 6 mois ;
- On se met en auto MSAP. Chaque arrêt de travail fait l’objet d’une demande d’accord du service médical via la messagerie sécurisée selon le tutoriel de la FMF ;
- Les médecins concernés sortent de l’OPTAM ;
- On incite les patients à fermer leur DMP en leur remettant un courrier pré-rédigé à envoyer à leur CPAM. Les arguments peuvent être la sécurité aléatoire des données en ligne (cf piratage Weda), et surtout la possibilité désormais accordée par la loi anti-fraude aux assureurs complémentaires, dont les mutuelles d’entreprise, d’accéder aux DMP ;
- Et bien sûr, les médecins des MSP refusent de se soumettre à la tutelle de France Santé.
Nous sommes attaqués de toutes parts, nous nous défendons aussi de diverses manières. Avec en point d’orgue la fermeture des cabinets du 5 au 15 janvier. Quelle que soit votre spécialité, commencez dès maintenant à bloquer vos RDV sur vos agendas en ligne, c’est cela qui va être scruté et nous donnera du poids.
À bientôt pour des nouvelles du front !