En France, les journalistes jouent un rôle central dans la formation de l’opinion publique. Pourtant, le traitement de l’information par certains médias généralistes est souvent critiqué pour son manque d’équilibre et d’impartialité. Le phénomène du « deux poids, deux mesures » se manifeste par une couverture médiatique inégale, selon les thématiques abordées, les acteurs impliqués ou les sensibilités politiques dominantes. Certains événements sont amplifiés, d’autres minimisés, voire passés sous silence, en fonction des lignes éditoriales, des stratégies d’audience ou des intérêts économiques des groupes propriétaires. Résultat : une perception biaisée de la réalité, où le journalisme semble parfois orienter plutôt qu’informer.
Un exemple frappant de cette asymétrie est le contraste entre le traitement médiatique des manifestations agricoles et celui des mobilisations des médecins, en particulier des médecins libéraux. Alors même que ces derniers alertent sur l’effondrement progressif du système de soins de premier recours, leurs revendications restent largement ignorées ou reléguées à des brèves peu visibles. Pourtant, les sujets qu’ils portent — revalorisation de l’acte, crise des vocations, conditions d’exercice dégradées, déséquilibres territoriaux, bureaucratisation croissante — sont au cœur de l’accès aux soins de la population. Mais ces revendications, souvent techniques et complexes, sont peu « lisibles » pour le grand public et manquent de la dimension spectaculaire ou visuelle que recherchent certaines rédactions.
En médecine libérale, les modes d’action sont pacifiques, syndicaux, professionnels : grèves administratives, fermetures symboliques de cabinets, tribunes, pétitions… Des formes de mobilisation qui peinent à concurrencer, sur le plan médiatique, les barrages routiers, les jets de fumier ou les affrontements avec les forces de l’ordre. De ce fait, la mobilisation des médecins de ville devient invisible, inaudible, malgré l’ampleur de la crise et l’urgence des réformes nécessaires.
À cela s’ajoute une image dégradée et parfois injustement entretenue par certains médias : celle du « médecin libéral nanti », supposément insensible aux difficultés du système. Ce stéréotype, tenace, occulte la réalité quotidienne des cabinets en tension, des burn-out, des renoncements à l’installation, des gardes non assurées, des déserts médicaux qui s’étendent. Il contribue à délégitimer les revendications, en opposant artificiellement les médecins aux patients ou aux autres professionnels de santé. Cette caricature nuit à la compréhension des enjeux et empêche un débat de fond sur l’avenir de la médecine ambulatoire.
Pour mémoire, la médecine publique n’est pas épargnée : l’hôpital souffre lui aussi d’un désengagement politique prolongé et de conditions de travail dégradées. Mais contrairement à leurs confrères hospitaliers, les médecins libéraux doivent en plus assumer les charges d’une structure privée, une pression réglementaire croissante, et une précarisation insidieuse de leur exercice indépendant.
Ces écarts médiatiques ne sauraient être réduits à de simples contraintes de format ou à la subjectivité individuelle. Ils posent une véritable question éthique : celle de la responsabilité éditoriale et de la fidélité au réel. Il serait injuste de généraliser : de nombreux journalistes exercent leur métier avec rigueur, honnêteté et conscience. Mais à l’heure où les logiques économiques et idéologiques pèsent de plus en plus sur l’information, la déontologie professionnelle est trop souvent reléguée au second plan — au détriment d’un débat public éclairé, et d’une information véritablement au service de tous.