« J’ai des glaires, Docteur ! »

On n’arrête pas le progrès, et comme il devient un peu fatigant à mon âge de courir après lui, mon intérêt pour les nouvelles techniques chirurgicales que je ne ferai jamais s’est un peu émoussé. 

Après plus de trente années d’exercice, et à quelques encâblures de la retraite, mis à part le plaisir de revoir les vieux potes qu’on ne rencontre qu’à l’occasion et qu’on ne reverra qu’à la prochaine, mon intérêt pour ces assises ORL de Nice s’est comme qui dirait un peu déplacé. 

D’abord cette année, ces assises de Nice étaient à Cannes, tout comme le congrès de Paris fut à Marseille. Notre spécialité évolue, certes, mais je vous avouerai que j’étais un peu déboussolé. 

Entre le café et le croissant grapillés au stand d’une société dont je tairai le nom par discrétion (au moins un truc qui ne change pas trop) j’ai donc épluché le riche programme que je venais de récupérer quelques minutes plus tôt au stand marqué « pochettes ». Là aussi, un truc qui ne change pas trop, sauf qu’avant on nous donnait un porte document, et que maintenant nous avons droit à un sac de toile, assez pratique pour mettre son linge sale ensuite, mais tout de même moins élégant que les petits cartables de jadis, que je donnais à mes gosses en rentrant avec les stylos à bille, les petits carnets, et parfois quelques gadgets amusants. 

Bref, à une heure qui déjà élimine une partie du programme, car décidément trop matinale, je décide de me recentrer sur ce qui continue de faire mon exercice quotidien, et qui, après 30 ans de pratique, continue à me poser des problèmes qui restent pour moi insolubles : Les acouphènes et les gratouillis de fond de gorge. 

« J’ai des glaires, Docteur », que celui qui est capable de faire face efficacement à cette complainte récurrente de certains patients me donne rapidement le truc, avant que je sois à la retraite. Car une fois constaté un examen ORL normal, mis à part de la compassion, et l’association d’un corticoïde nasal avec un traitement anti-reflux d’épreuve, je n’ai pas grand-chose d’autre à proposer. Le problème est que le malade revient quelques mois plus tard en situation d’échec, quand le médecin traitant ne nous a pas coupé l’herbe sous les pieds en ayant déjà fait ces prescriptions. On peut toujours continuer à être compassionnel, mais point trop n’en faut, sinon, le malade en redemande et continue de revenir !

Maintenant que je suis vieux, et que ma clientèle a vieilli avec moi, je peux sans crainte expliquer qu’en vieillissant, on devient un peu glaireux, et que d’ailleurs, moi aussi, « j’ai des glaires ». 

J’ai donc été très heureux d’apprendre que le reflux gastro-œsophagien était toujours d’actualité dans cette séméiologie, et qu’on pouvait rechercher la présence de pepsine dans le pharynx grâce à un test facile à réaliser. C’est en tout cas plus facile et plus « soft » que l’antique pH-métrie, dont on ne sait toujours pas si elle n’induit pas le reflux qu’elle est censée « documenter ». Car documenter, c’est bien là toute la question : rapidement, le « document » est retenu pour preuve, et l’absence de document engendre la suspicion. Alors, « documentez, documentez, il en restera toujours quelque chose ». Ça permet en tout cas de revoir le patient avec le document en question, mais je ne sais pas si c’est toujours une bonne idée, car à force de documenter, le patient finit par être conforté dans l’idée qu’il a vraiment quelque chose. 

Et lorsque les symptômes persistent, c’est là que le piège se referme, et que vous devenez irrémédiablement mauvais : Soit, en dépit de toutes les documentations, vous ne savez pas déceler le « quelque chose » en question, soit vous êtes infoutu de trouver le médicament qui soulage. De toutes les façons, vous êtes mauvais, et il ne vous reste plus qu’à déclarer votre incompétence, faire un beau « paquet cadeau », et refiler le bébé à un professeur de renom à qui vous voulez le plus grand bien. Adressez le patient avec les documents en question, histoire de ne pas passer une nouvelle fois pour un nul, et de préférence en consultation privée, car c’est un peu comme la psychanalyse, plus c’est cher et plus cela a des chances d’être efficace. 

Tiens, c’est vrai, la psychanalyse, on n’en a pas parlé (ou alors, j’ai raté l’atelier). C’est pourtant un truc vachement commode : Ne cherchez pas plus loin, tout est dans la tête. Si le malade ne guérit pas, on n’est pas dans le coup ; c’est que quelque part, le malade refuse de guérir, et se complait dans sa maladie dont il tire un réel bénéfice, même si ce dernier est inconscient. Si le malade a un gratouillis de fond de gorge, c’est qu’il s’est passé quelque chose de terrible au stade oro-bucco-génital, on ne sait pas trop quoi, en fait, mais on va trouver, et en attendant donnez-moi cinq-cents balles, on en parlera la prochaine fois. 

D’ailleurs, parait-il, il ne faut surtout pas enlever au malade sa maladie avec laquelle il est si bien. Sinon, il peut se passer quelque chose d’encore plus terrible, dans le genre refoulement, enfin, si j’ai bien tout compris. Disons que lorsque le malade en a marre de payer, il arrive que tout d’un coup, il ne ressente plus rien dans sa gorge, et se retrouve vraiment soulagé, en même temps que son portefeuille. Même chose avec les acouphènes, plus le malade est chiant, plus il revient, et plus il revient, plus il paye ; à défaut d’être efficace, le business est rentable ; pour ma fin de carrière, je devrais peut-être m’y mettre. C’est plus « relax » que la chir, et il parait même que l’analyste a le droit de dormir, puisque ce sont deux inconscients qui communiquent, et que même pendant le sommeil, l’inconscient veille. Il avait tout prévu le père Freud !

Pour en revenir à la médecine, la vraie, j’ai appris qu’il fallait peut-être être plus persévérant dans les traitements anti-reflux, et y aller carrément à 40 mg d’entrée de jeu. Après tout, c’est vrai, autant « mettre la gomme » si on veut avoir une chance que ça marche. J’ai redécouvert les vertus du bon vieux bicarbonate, et peux maintenant introduire les pastilles Vichy dans mes prescriptions.

J’ai aussi appris qu’il ne fallait plus utiliser le terme de « paresthésies pharyngées », et c’est un peu dommage, car cela constituait une formulation un tantinet ésotérique qui, livrée au patient, lui donnait l’illusion d’un diagnostic précis. Restait ensuite à expliquer qu’il s’agissait là d’une maladie chronique, que l’on ne savait pas très bien soigner, mais qui n’était pas grave, et qu’il fallait aussi apprendre à vivre avec. 

Voilà, pour le reste, je vous renvoie aux publications récentes sur le sujet, en attendant qu’on nous propose un rapport à la société française d’ORL sur les paresthésies pharyngées. Perso, je vote « pour ». Cet atelier fort intéressant m’a laissé un peu sur ma faim. La salle était comble, preuve que le sujet intéresse. 

 

Dr Marc Barthez, ORL – Chambéry – février 2023