Et les nouveaux patients ?

Professionnels de santé ou non, nombreux se demandent pourquoi certains d’entre nous refusent les nouveaux patients.

  • « Ce n’est pas normal, est-ce vraiment déontologique ? »
  • « Pourquoi vous ne prenez pas ? Vous êtes limités ? »
  • « Et en cas d’urgence, vous faîtes quoi ? »
  • « N’est-il pas de votre devoir de soigner tout le monde ? »

Je vais tenter de répondre et d’expliquer pourquoi nous en sommes arrivés là ! Je fais malheureusement partie de ceux qui ne peuvent plus prendre en charge de nouveaux patients.

La démographie médicale ?

Tout le monde le sait, nous sommes de moins en moins nombreux, en raison de la politique de santé menée par les gouvernements qui se sont succédés.

En réalité, nous serions théoriquement suffisamment nombreux pour répondre à la demande. Depuis 1970, le nombre de médecins par habitant n’a fait que croître. Mais pourquoi est-ce que les cabinets ne désemplissent pas ?

Nous sommes passés de 2,04 consultations par an et par français en 1970 à 6,3 consultations par an et par français actuellement en 2014. L’offre crée la demande et plus nous serons nombreux, plus nous serons sollicités par les patients. La demande en soins ne va cesser de croître… et elle va croître plus rapidement que le nombre de médecins.

La mentalité des jeunes médecins, hommes ET femmes

Les jeunes confrères n’ont pas les mêmes aspirations qu’il y a 50 ans. Ils privilégient leur vie personnelle ; leurs enfants, leurs conjoint.e.s, leurs ami.e.s. Il n’est plus question de terminer à 22h tous les jours et de rester disponible 24h/24 au téléphone. Il n’est plus question de courir au domicile d’un patient sur un simple claquement de doigt. Les jeunes espèrent une reconnaissance de leur profession, une meilleure rémunération car elle reste parmi les plus basses d’Europe et une possibilité d’avoir aussi une vie privée en parallèle. Le nombre d’heures de travail chute donc inexorablement et par ce fait, le nombre de consultations également. Les jeunes rêvent d’une couverture sociale équivalente à la majorité des français qu’ils soignent : une assurance maladie avec possibilité d’indemnités journalières en cas de maladie, une prévoyance, des congés… Mais comme tout indépendant, le médecin doit gérer ces aspects seul sans aide de quiconque. La différence, c’est qu’un cabinet fermé aura des conséquences plus importantes qu’une autre entreprise.

Il faudra donc plusieurs jeunes praticiens pour remplacer un ancien. C’est ce que nous pouvons déjà constater ; les cabinets de médecins exerçant seuls sont repris préférentiellement par 2 praticiens.

La mentalité des français

La mode du « tout, tout de suite » est plus présente que jamais. L’évolution des nouvelles technologies entraîne un monde baignant dans l’immédiateté. La patience n’est plus de mise et les gens veulent des réponses rapides à toutes leurs demandes. Quand on cherche une information, il suffit de 3 clics sur internet pour obtenir une réponse. Pourquoi serait-ce différent pour la santé ?

« Je suis inquiet, je veux une réponse tout de suite. »
« J’ai mal, je veux être soulagé immédiatement. »
« J’ai un symptôme, je veux savoir ce que c’est le plus rapidement possible. »

Et si c’était un cancer ? Et si c’était un AVC ? Si le mal de tête était en fait un début de méningite, c’est la judiciarisation assurée ! Tout symptôme peut être révélateur d’une pathologie grave et/ou aiguë, la seule façon de faire la part des choses, c’est d’interroger et examiner nos patients.

Nous sommes assimilés à un service public même si nous sommes libéraux. Nous travaillons dans l’intérêt public et il est de notre devoir de soigner la population. Le peuple espère une dévotion complète et nous oppose systématique notre vocation ou le serment d’Hippocrate que nous avons tous prêté.

Nous sommes donc voués à voir nos patients rapidement pour tout symptôme douteux. Les soins non programmés vont augmenter sans diminution des suivis médicaux habituels qui continueront à être nécessaires.

Les moyens

ARTICLE R.4127-70 du CSP : 

Tout médecin est, en principe habilité à pratiquer tous les actes dediagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose.

Quand nous n’avons plus de temps disponible à accorder à nos patients, nous ne pouvons pas consulter plus que de raison. Un médecin peut atteindre sa limite. Et cette limite est différente pour chacun. Il est inconcevable d’exiger d’un médecin d’assurer des consultations de 8h à 20h quotidiennement. Notre premier facteur limitant, c’est les 24h que compte une journée… Cet item n’est pas modifiable.

Mais que refuse-t-on exactement ?

« Attention, c’est de la non-assistance à personne en danger ! » Bien entendu, nous prenons en charge tout patient en urgence quels que soient son statut et son origine. En cas de péril imminent, il est du devoir de chaque citoyen français d’apporter son aide.

Les médecins qui refusent les nouveaux patients refusent surtout en fait d’être désignés médecin traitant. En cas d’urgence, aucun confrère ne refuse ses soins ! (Reste à définir ce qu’est une urgence.)

La « déclaration de choix de médecin traitant » constitue un contrat entre le médecin et son patient. L’intitulé prête à confusion ; nous avons l’impression que le patient choisit alors qu’il s’agit bien d’une déclaration conjointe. Dès lors qu’un médecin est déclaré comme médecin traitant, il devient responsable du patient. Et comme le code de déontologie le confirme (ARTICLE R.4127-32 du CSP), « dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués… ». 

Quand les délais de rendz-vous s’allongent et qu’un médecin ne peut donner un créneau de consultation dans des délais raisonnables, faut-il vraiment continuer à accepter le suivi de chaque nouveau patient ?

En conclusion, je considère que ces médecins qui refusent les nouveaux patients ne sont pas sanctionnables pour violation du code de déontologie ; ils veillent surtout à assurer des soins de qualité à leurs patients et savent reconnaître leurs propres limites.