En janvier dernier, j’avais déposé plainte contre une patiente qui avait rédigé de faux certificats médicaux pour justifier l’absence de son enfant au lycée.
Mon assurance protection juridique, La Médicale, m’avait conseillé de ne pas m’en mêler davantage. « Ne vous déplacez pas. Ne prenez pas d’avocat. » Fermez les yeux, circulez.
Mais comment ne pas vouloir regarder le mécanisme de la justice fonctionner de l’intérieur, et prendre ses responsabilités jusqu’au bout ?
Puisque j’étais convoqué, je me suis donc présenté seul, sans robe noire ni parapluie syndical, à l’heure dite, dans l’enceinte du tribunal. Dix minutes d’avance, presque une fierté de collégien en cravate.
On m’indique la grande, belle et solennelle salle du tribunal correctionnel. Je m’y voyais déjà : témoin d’une médecine défendue par l’institution républicaine, la justice se levant pour dire : non, la parole médicale ne se falsifie pas impunément.
Mais l’illusion fut brève. Quatre minutes plus tard, on m’annonce que l’affaire ne sera pas jugée là : ce n’est pas une audience publique, mais une composition pénale.
On m’escorte discrètement vers une petite salle annexe, sans faste ni symbole : une table et deux chaises.
J’attends. Rien de solennel ici. Le vrai pouvoir est silencieux et sans lustre.
J’ai été reçu par une substitut du procureur, posée, attentive. Elle a écouté. Elle a reconnu le sérieux de la plainte, l’acte citoyen, l’exigence déontologique.
Nous avons parlé de confiance brisée, de l’onde de choc discrète que produit ce genre de faux : non pas un simple papier inventé, mais une altération du lien, une fissure dans l’édifice fragile entre le médecin, la famille, et la vérité.
Je dois reconnaître, et c’est là un reste d’orgueil d’homme de consultation, que nous avons encore, nous médecins, ce talent ancien : savoir poser des mots, construire du sens dans un face-à-face.
Elle m’a expliqué la procédure : pas de procès public, pas de confrontation, mais une réponse rapide, pédagogique, si la patiente reconnaît les faits.
Une logique de réparation discrète plutôt que de sanction visible.
J’ai hoché la tête. J’ai compris.
Mais j’aurais préféré que cela se sache.
Pas par vengeance.
Mais parce que ces falsifications se répandent comme des champignons après la pluie, et que le silence entretient la récidive.
Peu importe. Je ne suis pas procureur, et la justice ne m’a pas invité à juger, seulement à témoigner.
Je ne connais pas la sanction appliquée.
Je note, enfin, avec un sourire intérieur, que cette audition fut plus rapide que le dépôt de plainte lui-même.
Dix minutes montre en main. La procédure, épurée jusqu’à l’os.
Et, cerise sur la robe noire : au moment de me lever, la substitut m’a regardé et m’a demandé :
— Sinon, Docteur, vous prenez encore des nouveaux patients ?