Lundi matin, je me suis réveillée avec un sentiment étrange

Lundi matin, je me suis réveillée avec un sentiment étrange, presque angoissant : j’ouvrais la porte de mon cabinet et j’entrais dans la pénombre et le brouillard, je n’avais aucune visibilité.

Et c’est bien le cas depuis 6 jours.

Alors je réagis, je suis dans le faire plutôt que le subir, j’essaie de prendre du recul, de m ’appuyer sur l’expérience des territoires qui ont déjà vécu l’arrivée du COVID.

Lundi matin je décide de sanctuariser mon cabinet, dans l’urgence avec les crayons de couleurs et les feuilles de papiers qui sont à disposition pour mes jeunes patients je fais une affiche :

 MERCI DE SONNER AVANT D’ ENTRER

et d’attendre que l’on vienne vérifier votre température.

SI VOUS N’AVEZ PAS RDV, RENTREZ CHEZ VOUS

et appelez le secrétariat qui vous donnera un RDV.

Avec ma collègue, ma secrétaire et l’infirmière ASALEE, nous modifions la salle d’attente et établissons le parcours du patient. : sur le pas de la porte on vérifie sa température, s’il n’en a pas et que cela mérite qu’il consulte , gel sur les main et masque, minimum d’interaction avec notre secrétaire, JE prend carte vitale et règlement.

De fait j’ai débuté la téléconsultation lundi.

Mardi, je refais l’affiche avec des feutres, elle se voit de plus loin, mais ce n’est pas pour ça que certaines personnes la comprennent :
 » j’ai vu, mais je suis infirmière , je connais » me rétorque une personne à qui je faisait remarquer qu’elle n’avait pas à entrer sans notre aval.
De nouveaux appels de personnes ayant des symptômes évoquant un COVID, avec mon interne on crée un fichier Exel pour suivre nos patients suspects.

Mardi soir en visioconférence une table ronde organisée par les médécins du 65, avec ARS, CPAM, infectiologue de l’hôpital, urgentistes, médecins généralistes, régulateurs libéraux, pneumologues …
Je suis effarée par les propos de l’infectiologue :

  • un professionnel de santé qui a un rhume il met un masque et il va travailler,
  • pas de test sauf pour les patients admis en réanimation et les immunodéprimés avec des signes pulmonaires,
  • le masque FFP2 ce n’est que pour les gestes invasifs,
  • pour le généraliste le masque chirurgical suffit…

J’hallucine devant l’inconséquence de l’ARS : il faut 2 filières distinctes pour voir les patients COVID+ en ville, mais sans proposer de solutions concrètes à part mettre des plaques de plexiglas pour protéger la secrétaire…
Le médecin de la caisse qui s’enorgueillit de permettre aux patient fragiles en ALD de faire eux-mêmes les arrêt de travail en ligne
Le seul point positif c’est d’entendre mes confrères d’un secteur voisin qui témoignent « de la création de centres dédiés avec l’appui des mairies et des communautés de commune et de ne pas solliciter les médecins à risque pour voir les patients suspects ».
Je me couche plus que dépitée, nous sommes seuls et il ne faut pas compter sur les tutelles.

Mercredi, c’est mon jour de repos mais comme nous ne sommes que 2 médecins (pour une patientèle de 4) je vais bosser ; de toute façon je ne sais pas ce que j’aurais fait, des stock de PQ peut être !
Consciente que nous sommes seules dans cette galère, les tutelles étant inexistantes , je demande à mon maire s’il peut nous mettre à disposition un barnum pour faire une consultation COVID hors les murs, c’est chose faite dans l’après midi. Eh bien non on n’est pas si seules.
Je vais chercher mes masques je n’entre pas dans le détail.
Et puis j’informe mon députe de comment ça se passe dans la vraie vie avec deux trois petites choses à faire remonter aux différents ministères.
Je fait du soutien psy à la pharmacienne qui n’en peut plus de l’incivilité et de imbécillité des gens, du manque d’information émanant de son conseil de l’ordre.
Et je cause beaucoup avec ma collègue, c’est super calme.

Jeudi, téléconsultation, quelques consultations, et puis le patient qui te pause problème : femme obèse de 55 ans diabétique qui a fait de la fièvre il y a 10 jours , qui tousse et qui est essoufflée, qui a une saturation correcte mais une tachypnée. J’appelle le 15 parce que ca dure et que je ne sais plus quoi en penser, que ca fait une semaine que je la surveille, après un moment de discussion mon confrère accepte de la recevoir à l’hôpital et la la patiente me dit : »faut aller à l’hôpital, je préfère pas ils ont dit aux infos qu’il faut pas se rendre aux urgences « , je suis scotchée, elle repart chez elle mais je lui donne rendez-vous pour vendredi et une nouvelle évaluation.

Vendredi, je trouve que 9 m² pour le covidodrome c’est trop petit, la mairie me triple la surface, cool !!
Je revois ma patiente de la veille, elle désature aux efforts de toux, la dyspnée d’effort se majore et enfin elle accepte d’aller à l’hôpital, ouf.
Je profite d’avoir mon SASPAS pour les téléconsultations, pour faire du lobbying au niveau du département, de sensibiliser mon député que si rien n’est fait en terme de protection pour les professionnels de santé dans 3 semaines les réanimations seront pleines de généralistes intubés, que si Etat avait mis les médecins de terrain dans la boucle dès le début on n’en serait pas là. Je suis, je ne sais pas trop quoi, quand je l’entends me dire qu’il espère que dans 10 jours ce sera fini, sur le cul peut-être.

Voila je vous est fait partager ma premiere semaine COVID et je vous remercie d’avoir lu jusqu’au bout.

D’avoir été dans l’être me permet de prendre de la distance.

Prenez soins de vous


Claire CADIX