Lettre ouverte aux responsables politiques en charge de la santé et des affaires sociales

A l’approche des élections législatives je lance ce cri l’alarme venant une nouvelle fois de rencontrer un confrère passablement déstabilisé, en plein doute, car malmené par un pôle de contrôle d’une CPAM  [1]

Ce harcèlement mal ciblé n’en est certes pas la seule cause mais participe de façon certaine à la désertification ; et les chiffres sont alarmants quand le taux d’installations des médecins en secteur libéral est tombé de 8/10 à 2/10 en une décennie.

Depuis 6 années, responsable de la CELLULE JURIDIQUE de la FMF [2], j’ai vu passer des centaines de dossiers de ce type, mais au centre de chaque dossier il y a un médecin, souvent surmené, parfois au bord du burn-out, et au bout de cette épreuve une remise en question profonde aboutissant très souvent à une réorientation professionnelle alimentant l’hémorragie hors du secteur libéral : l’arrêt de l’activité et la retraite, ou le choix du salariat voire du remplacement …

 La chasse à la « fraude » est un thème porteur en période électorale, mais il y a sans doute moins de fraudeurs dans une profession encadrée par une Déontologie forte que dans la population générale, alors pourquoi ce harcèlement qui a débuté par les médecins généralistes et se prolonge aujourd’hui par les spécialistes et autres chirurgiens ? Et je n’affirme pas en l’air qu’il est mal ciblé mais sur les constatations tirées de notre expérience : ce qui apparaît suspect pour les pôles de contrôle des caisses avec ses médecins volontaires gratifiés de primes à la performance c’est :

  • Une activité s’écartant de la moyenne, à fortiori si elle est supérieure à celle-ci !
  • Trop de tiers-payants ou dans l’autre sens de dépassements,
  • Trop de patients utilisateurs de produits de substitution aux opiacés
  • Trop de patients en ALD [3] ou de personnes âgées engendrant trop de prescriptions d’IDE [4], ou de kinésithérapeute…
  • Une dénonciation, même si elle s’avère secondairement calomnieuse…

 Toutes ces situations vont amener à un contrôle d’activité du professionnel dans le cadre de l’article D315 du code de la sécurité sociale [5], ce qui paraît quelconque écrit de la sorte mais qui dans les faits représente un véritable harcèlement du professionnel de santé le poussant parfois au suicide :

  • Multiples lettres recommandées reçues par le professionnel de santé,
  • Multiples demandes de justifications : il est courant de réclamer à un professionnel accaparé par son activité l’envoi de plusieurs centaines de CRO[6] ou d’examens.
  • Multiples tableaux supposés représenter les griefs à compléter par le médecin : un par dossier, s’il y en a 300 le médecin doit remplir 300 tableaux !
  • Interrogatoire policier de patients (dans le dos du professionnel de santé qui est simplement prévenu que « certains patients peuvent être entendus » avec fréquemment des questions tendancieuses ne respectant pas la Déontologie et de multiples irrégularités constatées : contrôle de l’identité aléatoire, copie du témoignage non remise au patient, témoignage écrit par le médecin conseil pour des patients comprenant mal le français et incapables de l’écrire…)
  • Non respect de la législation qui prévoit l’envoi des pièces au professionnel ce que refusent les CPAM, parfois elles permettent de venir consulter sur place ; mais comment alors préparer un dossier en défense dans de telles conditions…
  • Alors le directeur de l’UNCAM peut bien publier sa « Charte des contrôles » à la matière de celle des contrôles fiscaux, pensez vous qu’elle sera mieux respectée que la Loi ? La CELLULE JURIDIQUE de la FMF s’est d’ailleurs adressée à Frédéric VAN ROECKEGHEM sur le sujet le 21 avril sans obtenir de réponse à ce jour : voir ici

Puis vient l’entretien dit « contradictoire » où pendant plusieurs heures, parfois au cours de plusieurs journées le médecin doit justifier ses actes et prescriptions devant 2 confrères du pôle de contrôle (généralement celui en charge du dossier et son supérieur hiérarchique) agressifs, souvent ironiques et à l’attitude professorale, bien qu’ils ne maîtrisent pas toujours parfaitement leur sujet ! A leur décharge NGAP [7] et autre CCAM [8] atteignent parfois un niveau de contradiction et de complexité digne du code des impôts.

Dans le mois qui suit l’entretien, service de contrôle et praticien échangent leurs remarques et conclusions et 3 mois plus tard le médecin reçoit le verdict du directeur de la CPAM : relaxe sans suite ou avec remarques, demande de remboursement d’indus accompagnée éventuellement de la transmission d’une plainte auprès de la SAS [9] du CROM[10] voire auprès du Procureur de la République.

Détail particulièrement choquant et injuste, le remboursement d’indus réclamé au médecin concerne les sommes qu’il a pu encaisser comme honoraires mais également celles dont il n’a pas bénéficié comme des prescriptions, des frais d’hospitalisation ou des indemnités journalières … (c’est l’art L133-4 du code de la sécurité sociale qui le permet).

Il faut dire que chaque Loi cadre sur la santé comme celle du 13/08/2004 ou plus récemment la Loi HPST[11], chaque LFSS[12] ont apporté autant de textes liberticides pour l’exercice de la médecine libérale au point de décourager la plupart des candidats à l’installation, et curieusement ce sont ces mêmes élus, qui, sur leurs terres déplorent la désertification qui est pourtant une des conséquences directes des leurs votes législatifs successifs.

Pour en revenir à notre expérience des médecins contrôlés, majoritairement il s’agit de praticiens à forte activité, d’un haut niveau de compétences, particulièrement dévoués à leur patientèle, consciencieux et attentifs, responsables et animés de qualités humaines et professionnelles évidentes et qui ressortent déstabilisés, parfois broyés de ces contrôles maltraitants qui considèrent ces professionnels à la manière de délinquants uniquement parce qu’ils travaillent beaucoup ou différemment que la moyenne.

Présomption d’innocence et droits de la défense ne sont pas respectés sous l’alibi d’une procédure non encore contentieuse bien que la CNAM ait cru bon d’éditer une charte détaillant les engagements qu’elle prétend respecter.

Il paraît intéressant de lire le témoignage d’un avocat spécialisé en droit de la santé sur son blog, ICI

Aussi, il paraît nécessaire et urgent d’envisager

  • Une modification des techniques de ciblage ne s’appuyant pas uniquement sur de désuets critères statistiques,
  • Le respect scrupuleux des procédures dans les termes de la Loi, avec un équilibre entre les droits et les devoirs de chacun,
  • Le respect de la Déontologie Médicale notamment pour les médecins conseils qui en sont légalement dispensés au cours de leur exercice de contrôle !
  • Un rééquilibrage des acteurs au profit des droits de la défense pour ces contrôles dès la phase qualifiée à tort de « pré-contentieuse » par les CPAM d’autant que la profession par l‘intermédiaire de ses représentants syndicaux participe à la vie conventionnelle au travers des diverses commissions (CPL, CPR, CPN[13][#_ftnref13<-]), commission des pénalités.

 Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, CELLULE JURIDIQUE FMF


[#_ftn1« title= » »>[1] CPAM : Caisse Primaire d’Assurance Maladie

[#_ftn2″ title= » »>[2] FMF : Fédération des Médecins de France ; [->http://www.fmfpro.org/]http ://www.fmfpro.org/

[3] ALD : Affection Longue Durée

[4] IDE : Infirmière Diplômée d’Etat

[6] CRO : Compte Rendu Opératoire

[7] NGAP : Nomenclature Générale des Actes professionnels

[8] CCAM : Classification Commune des Actes Médicaux ; sur le site de la CNAM

[9] SAS : Section des Affaires Sociales

[10] CROM : Conseil Régional de l’Ordre des Médecins

[11] Loi HPST : Hôpitaux, Patients, Santé, Territoires

[12] LFSS : Loi de Financement de la Sécurité Sociale

[13] CPL, CPR, CPN : Commissions Paritaires Locale, Régionale, Nationale …