Le salariat est-il vraiment la solution à la désertification médicale ?

Face à la désertification médicale et aux appels au secours de leurs administrés, la tentation du salariat est forte pour les structures locales.

En 2017, le département de Saône-et-Loire a créé le premier centre de santé départemental en France. Ce service compte désormais 70 médecins, et continue à recruter

5 ans après, il est possible d’en tirer un premier bilan.

Du point de vue des médecins salariés, c’est alléchant :

  • appui administratif avec la présence de 30 secrétaires médicales
  • 13 paramédicaux (IDE, IDE Asalée, IPA)
  • droit à congés / RTT de 49 jours pour un temps plein
  • rémunération fixe

Soit quand même 43 personnels pour 70 médecins, soit 0,61 ETP par médecin, donc 50% de plus que les 0,4 ETP dans le monde libéral.

Et un exercice dégagé d’une grosse part de la gestion administrative.

Avec un effectif de 70 médecins, le centre départemental représente à lui seul l’équivalent de 18 % de l’effectif des généralistes libéraux du département !

Alors est-ce un succès ? En tout cas la région AuRA semble le penser puisqu’elle a fait part de son intention de mettre en place un dispositif semblable.

Pourtant dans les faits c’est moins rose, au moins d’un point de vue purement comptable.

Le budget 2021 de la Saône-et-Loire comprend évidemment une annexe pour son centre de santé. Qui met en exergue des revenus de 3 200 000 € pour des dépenses de 8 800 000 € dont 8 000 000 € pour les seuls frais de personnels !

Soit une nécessité de 5 500 000 € de subventions pour équilibrer le budget.

Si on rapporte à l’activité médicale, les recettes représentent au maximum 128000 consultations. Et encore, si on n’intègre dans le chiffre d’affaire du centre ni forfait médecin traitant ni aucun autre versement forfaitaire, ce qui semble très étonnant.

Soit 128000/70/45 semaines (rappel : 7 semaines de congés) = 40 consultations hebdomadaires par praticien, soit 1828 par an. Ou si on veut prendre en compte le fait que tous les médecins n’ont pas forcément une activité à temps plein, un coût moyen par consultation de 69 €. Même s’il faut prendre en compte que le centre départemental revendique un certain nombre d’actions de prévention qui ne se retrouvent pas forcément dans un bilan comptable.

A comparer à l’activité moyenne de 4600 actes par an pour 50 heures de travail hebdomadaires des libéraux.

Est-ce qu’on ne pourrait pas estimer qu’il s’agit là de concurrence déloyale par rapport au secteur privé ?

Sans aller aussi loin que montre cette expérimentation à grande échelle du salariat ? Les médecins salariés travaillent moins et dans de meilleures conditions. Mais pour des résultats médicaux assez moyens.

Et la conclusion évidente qui vient à l’esprit du professionnel libéral qui doit vivre de son travail ET équilibrer ses comptes en fin d’année c’est que les tarifs actuels de la médecine libérale ne lui permettent pas ce genre de conditions de travail, puisqu’elles nécessitent que les 2/3 du budget soient constitués de subventions. Et que donc les médecins libéraux sont sous-payés. Ce qui rejoint d’ailleurs la constatation que les tarifs dans le reste de l’OCDE sont très nettement supérieurs aux nôtres.

Ou alors, dit autrement, pourquoi permet-on aux centres de santé salariés des moyens qu’on nous refuse ? M. le Président Emmanuel Macron l’a encore dit le 17 mars 2022 : « bouger seulement sur la rémunération à l’acte n’est pas à mon avis un bon levier ».

Mais il veut dans le même temps confier de « nouvelles missions » aux médecins libéraux, alors même qu’ils ont du mal à assumer leur importante charge de travail actuel.

Ceci ne peut être ressenti que comme une injustice dans un pays qui porte au fronton de ses bâtiments public la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ».