Confier la médecine du travail aux généralistes ?

Un claquement de doigt et on enrichit la formation des généralistes de quatre ans !


Le patronat l’a décidé, il faut trouver une solution pour les salariés en arrêt maladie de plus de 3 mois. Il n’y a pas assez de médecins du travail, on va s’en passer, on va demander aux médecins généralistes ! Donc ils décident d’octroyer à l’omnipraticien le droit de prescrire un arrêt maladie au patient mais aussi d’en être l’expert ? En contradiction totale avec l’Article 105 du code de déontologie (article R.4127-105 du code de la santé publique). Si l’entreprise manque d’un chauffeur, va-t-on demander à la secrétaire d’aller livrer la marchandise aux clients en plus de son travail ?

Cet accord entre patronat et syndicats de salariés prise de manière unilatérale, sans aucune consultation des premiers intéressés que sont les médecins libéraux, ne vise qu’à arranger le patronat sans prendre en compte la santé de ses salariés. Et en déshabillant Pierre (la médecine libérale) qui va déjà presque nu pour habiller Paul (la médecine du travail).

C’est aussi une méconnaissance (pour ne pas dire mépris) de la spécificité et des compétences intrinsèques et de la médecine du travail, et de la médecine générale. 

« Yaka » demander aux médecins généralistes de vacciner, d’expertiser, d’autoriser les plus de 70 ans à conduire, les patients à faire du sport etc…

Il est d’ailleurs bien connu que la compétence des généralistes est à géométrie variable et bien plus grande le vendredi soir, la nuit, le week-end, au mois d’août ou quand les dentistes ou spécialistes ne sont pas disponibles.

Non la médecine du travail n’est pas une sous-spécialité, quatre ans sont nécessaires pour valider cette spécialité. Les généralistes ne sont pas compétents pour juger les risques liés au travail et au lieu de travail, raison pour laquelle il existe une spécialité qui leur est dédiée.

On va nous opposer qu’il n’est question que de généralistes volontaires, après une formation complémentaire ; mais évidemment il ne sera pas question d’une formation de quatre années. Donc quand même d’un pis-aller.

De toute façon la question n’est pas là. Alors que la démographie des généralistes est en chute libre, que les déserts médicaux avancent partout, et que les pathologies liées au travail explosent, en particulier les troubles musculo-squelettiques et les souffrances au travail, on veut encore charger la barque des généralistes et moins bien prendre en charge la santé des salariés. 

Et plein d’autres questions se posent :

  1. Comme on l’a vu, l’article 105 qui interdit d’être à la fois médecin traitant et expert d’un patient ;
  2. les cotisations des employeurs : tous les médecins employeurs savent bien qu’ils payent entre 80 et 100 € par an par salarié pour UNE visite tous les deux ans, de plus en plus souvent d’ailleurs faite par un•e infirmier•e. Accepteront-ils de payer autant pour ne plus avoir le service inhérent ?
  3. quel statut pour ces médecins généralistes suppléants ? vacataires ? salariés ? libéraux ?
  4. s’ils restent libéraux, qui paye ? à quel tarif ? avec quel statut fiscal et par rapport à la convention ? puisqu’en pratique une consultation de médecine du travail c’est 160 € …
  5. avec quels moyens (locaux, secrétariat, courriers, gestion des dossiers) ?
  6. quelle incidence pour leur assurance Responsabilité Civile Professionnelle ? quelles conséquenses aussi en cas d’erreur sur une (in)aptitude ?

Qu’en retenir ? Offrir à des médecins généralistes une passerelle pour se former à la spécialité de médecine du travail, pourquoi pas. Mais alors une VRAIE formation (rémunérée évidemment) pour une VRAIE compétence et une VRAIE spécialité. 

Mais pas cette proposition au rabais de servir de bouche-trous et de supplétifs à un service de médecine du travail moribond en France. Le respect envers les médecins, c’est d’abord reconnaître leurs compétences.

Les médecins libéraux n’ont pas vocation à servir de variable d’ajustement … à la médecine du travail, à la médecine scolaire, à l’ARS, à la gestion des crises sanitaires, au manque de dentistes, de psychologues, de structures d’encadrement. Leur travail est avant tout de soigner les patients, et il faudrait s’en souvenir.