Articles 30 & 31 du PLFSS 2026 : l’utilisation forcée du DMP sous contrainte financière !

L’article 31 du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2026 veut rendre obligatoires la consultation et l’alimentation du Dossier Médical Partagé (DMP) par les professionnels de santé.
Le texte prévoit même la possibilité pour l’Assurance Maladie d’imposer des amendes administratives pouvant atteindre 10 000 € par an en cas de manquement.

Présenté comme un outil de coordination, le DMP demeure pourtant peu utilisé par les médecins, non par désintérêt, mais parce qu’il est insuffisamment intégré aux logiciels métiers, pas encore assez alimenté par les autres acteurs du système de soins, et dépourvu des outils de recherche nécessaires pour y retrouver efficacement une information utile.

En parallèle, l’article 30 du même PLFSS introduit la possibilité pour l’Assurance Maladie de financer les éditeurs de logiciels d’aide à la prescription, à condition que leurs outils permettent de réaliser des économies sur les prescriptions des médecins.
Autrement dit, ce ne sont plus les médecins dont on valorise la pertinence des décisions, mais les concepteurs d’algorithmes, récompensés selon les économies générées sur les soins.

L’idée, sur le papier, est séduisante : un dossier unique, lisible, complet, qui suit le patient toute sa vie. Une boussole numérique dans la jungle des soins.
Mais encore faudrait-il que la boussole indique le nord.

Alors, à la FMF, nous avons voulu interroger les médecins de terrain, ceux qui sont confrontés au DMP et à son utilisation au quotidien, pour avoir un état des lieux.

Et les médecins ont répondu : plus de 3000 réponses en quelques jours …

7 questions, avec une possibilité de réponse ouverte pour la plupart, un gros travail d’analyse, dont voici les résultats


Et l’analyse :

  • Problèmes techniques et organisationnels majeurs : Une écrasante majorité de répondants évoquent l’excessive lenteur, la mauvaise intégration du DMP  dans les logiciels métiers, une hiérarchisation confuse des données et des difficultés pour trouver l’information pertinente. L’incomplétude, l’obsolescence, l’inaccessibilité ou le manque d’alimentation du DMP par les autres acteurs du soin sont régulièrement cités, aussi bien par les généralistes que les spécialistes. Très peu perçoivent une valeur ajoutée du DMP par rapport à leur pratique et déclarent le consulter systématiquement.
  • Faible usage : Les réponses « jamais », « rarement » ou « parfois » dominent très largement. « Souvent » est moins fréquent, même pour les spécialistes. Lorsque le DMP est consulté, c’est essentiellement dans des situations de soins non programmés, de prise en charge de patients polypathologiques, d’urgence ou pour repérer des examens déjà réalisés.
  • Utilités perçues limitées : Le DMP pourrait s’avérer utile dans le suivi de patients complexes ou pour éviter des prescriptions d’examens redondants. Toutefois, beaucoup signalent que cette utilité potentielle n’est pas atteinte du fait d’un remplissage inexistant ou partiel (notamment de la part des hôpitaux et spécialistes), et d’un très mauvais classement des informations.
  • Refus du caractère contraignant du PLFSS, opposition à la sanction : L’immense majorité considère l’article 31 du PLFSS 2026 (amende en cas de non-consultation du DMP) comme une mesure punitive, inutile, déconnectée des réalités, source de démotivation et d’hostilité supplémentaire contre un outil jugé trop défaillant. L’idée d’une coercition par amende nourrit un sentiment d’infantilisation ou d’ingérence de la part de l’Assurance Maladie, et amplifie la défiance vis-à-vis de l’État.
  • Scepticisme envers la rémunération des éditeurs de logiciels (article 30) : Très grande majorité de réponses négatives, dénonciation d’une « dérive » qui valorise les éditeurs de logiciel « au détriment des médecins », inquiétudes envers une médecine de plus en plus pilotée par des intérêts économiques et non médicaux. Peu voient un avantage direct pour leur pratique clinique ; certains réclament plutôt punition ou obligations pour les éditeurs de logiciels insuffisamment performants ou intégrés.
  • Contexte global de défiance : L’analyse révèle un climat de défiance extrêmement marqué vis-à-vis des mesures réglementaires, du pilotage par l’économie et de la perte d’autonomie/flexibilité des professionnels de santé. Beaucoup associent la généralisation du DMP et de la prescription encadrée à une mise sous tutelle managériale et comptable de la médecine libérale et hospitalière. De nombreux commentaires laissent émerger un malaise, voire du découragement (« vivement la retraite », « la santé n’est pas l’objectif de la CNAM », « on devient informaticiens », etc.).
  • Ouvertures marginales : Quelques rares réponses considèrent qu’une meilleure alimentation et hiérarchisation du DMP (voire le recours à l’IA pour le tri des données) pourraient lui donner un intérêt, notamment pour améliorer la coordination et la transmission des comptes rendus et des antécédents. Quelques médecins accueillent « sans avis » la rémunération des éditeurs, ou y voient une aide à condition de mieux cibler les bénéficiaires (incitations à bien faire, ou à sanctionner les mauvais logiciels métiers).

En conclusion :La consultation régulière du DMP reste marginale, et le rejet des sanctions et de la logique actuelle de développement du DMP est massif. Le véritable obstacle principal est technique et organisationnel, bien plus que culturel ou une mauvaise volonté individuelle des professionnels de santé. Tant que ces verrous (intégration dans le flux de travail, alimentation effective du DMP, clarté des données, ergonomie, réalisme administratif/législatif) ne seront pas enlevés, le DMP restera peu utilisé et massivement critiqué.

Et maintenant ? Qu’attendent les médecins ?

Les médecins dessinent une feuille de route claire, issue du terrain. et demandent simplement que l’outil soit enfin à la hauteur de ses ambitions.

Les axes d’amélioration sont limpides :

  • Une intégration fluide et naturelle du DMP dans les logiciels métiers
  • Une ergonomie pensée avec les médecins, pas contre eux : lisibilité, rapidité, simplicité.
  • Une structuration claire des données, avec une vraie hiérarchisation, un moteur de recherche efficace et un accès immédiat aux informations essentielles.
  • Une responsabilité partagée : tous les acteurs du système de santé doivent alimenter le DMP — y compris les hôpitaux et les spécialistes — sous peine d’en faire une coquille vide.
  • Et surtout : la fin de la culpabilisation numérique tant que l’outil restera incomplet, chronophage et techniquement inadapté.

Un médecin résume : “Quand le DMP sera utile, on l’utilisera sans qu’on ait besoin de nous y forcer.”

Aujourd’hui, il manque cruellement de fonctionnalités de base :

  • une indexation fiable des données avec un moteur de recherche performant ;
  • un accès facile et bidirectionnel au carnet de vaccination ;
  • un carnet de santé réellement fonctionnel, pourtant rendu obligatoire par l’article 76 de la convention ;
  • une intégration transparente dans les logiciels médicaux
  • des données biologiques exploitables, et non des PDF statiques impossibles à traiter ;
  • la possibilité de consultation mobile en visite, via e-CPS.

Toutes ces améliorations, on nous les promet pour le “DMP Ségur 2”… à l’horizon 2027.
D’ici là, sanctionner les médecins pour un outil encore en chantier serait non seulement injuste, mais contre-productif. Une obligation prématurée, assortie d’amendes pouvant aller jusqu’à 10 000 € par an, ne ferait qu’ajouter une couche d’hostilité inutile à une profession déjà sous tension.

Le DMP n’a pas besoin de gendarmes et la coercition n’a jamais produit la confiance. Il a besoin d’ingénieurs à l’écoute, d’ergonomes compétents et d’un minimum d’humilité institutionnelle.
Il deviendra un réflexe le jour où il sera utile, rapide, intuitif et fiable — pas avant.

Le DMP aurait pu être un progrès partagé mais en voulant imposer un outil défaillant, on condamne son adoption. Le DMP aurait pu rassembler : il ne fait que diviser.