Les insultes sont au débat ce que les paparazzis sont au journalisme

Je suis médecin gynécologue, je suis une femme, une mère, une personne ordinaire.

J’ai 56 ans, j’ai vu, vécu, entendu un certain nombre de positions, postures, débats, événements sociétaux, à propos de mon métier, mon statut de femme, d’épouse, de mère.

J’ai pris conscience d’un malaise il y a plusieurs années déjà, me suis engagée de façon associative puis syndicale, représentative avec un objectif : défendre des valeurs universelles de liberté, de souveraineté des choix, de bienveillance. Ce sont là les socles de notre déontologie.

Aujourd’hui, le constat est terrible.

Pensant lutter contre des dictatures de pensée, un grand nombre de minorités extrémistes s’expriment violemment, haineusement, utilisent les médias à bonne fin, parlent aux tripes des gens en évitant de solliciter leur cerveau, frappent avec des slogans, des images, parfois insoutenables. Je ne suis pas experte en tous domaines, mais dans le mien, celui pour lequel j’ai été formée et que j’exerce depuis 30 ans, je le suis. Je revendique cette expertise et défie quiconque de la remettre en question, certification ou pas.

J’ai appris l’humain, je l’ai interprété à travers mes prismes techniques, à travers mes connaissances, leur nécessaire évolution, mon intuition, mon écoute, ma bienveillance, car c’est aussi à cela que j’ai été formée. J’ai tenté de répondre aux attentes de mes concitoyens, qui venaient chercher auprès de moi, sur la foi de mes diplômes mais pas seulement, un avis, un conseil, un traitement, une solution à un problème ou simplement une demande de prévention, parfois une validation administrative, peu importe, c’est mon savoir, mon statut et mon expérience que l’on sollicite, pas mes croyances.

J’ai parfois réussi, j’ai parfois échoué, bien sûr.

Mais les attentes changent, les sociétés évoluent.

Depuis quelques années, et le phénomène s’accélère, nous assistons de la part de quelques groupes à une demande de remise en question de ce savoir, ou plutôt une exigence. Au prétexte que ce savoir aurait été transmis avec malveillance, dans le but de nuire, sans égards pour les personnes.

C’est devenu “ viral “, tellement “ vrai “ que des personnalités publiques, politiques s’emparent du sujet, affirment, assènent des vérités, exhortent au changement, à la résilience, l’expiation, promettent des sanctions collectives, des mises au pilori !

Mais de quoi parle t’on ?

Au nom de qui ?

Je vois l’affrontement entre croyance et connaissance, entre exemple et théorie, empirisme et démonstration.

Notre spécialité, qui est au croisement de bien des problématiques sociétales en effet ( la femme, le corps, la maternité, la sexualité, la conception, la parentalité, la conjugalité ) est sous le feu. Mais le feu de qui ? De confrères et de collègues, c’est certain , de patients ayant eu de mauvaises expériences, de politiques en mal de “ projets “, de médias en recherche de sensationnel.

Mais quels sont les faits ?

Quels sont les fondements du débat ?

Les femmes sont elles si mal soignées dans ce pays ?

En tous cas, elles sont mal “ dépistées “. Nous battons le record de non observance du dépistage chez la moitié des femmes et donc du surdépistage de l’autre moitié. Les 40 % de femmes qui ne font ni frottis ni mammographie sont-elles toutes des victimes de brutes en blanc ?

Alors oui, il existe une maltraitance des femmes.

Une maltraitance sociétale qui commence par l’inégalité des salaires à fonction équivalente, par des éducations sexistes qui ne sont ni reconnues ni sanctionnées, enfin par une maltraitance génétique qui rend les femmes en charge de la procréation.

Nous n’avons que des moyens bien limités pour pallier à cela. Combien connaissent les “ dégâts “ anatomiques possibles d’un accouchement normal ?

Qui, dans ces juges suprêmes, est capable de prédire comment va se passer une naissance et quelles seront les conséquences périnéales ? Combien savent que la naissance peut aussi bien être un intense accomplissement qu’un traumatisme tissulaire terrible, auquel la génétique et la nature nous ont très inégalitairement préparées. Combien y a t’il de gynécos (ou autre soignants, le manège tourne) maltraitants, comment les “identifier et les aider “ ? Car ils ont besoin d’aide, la maltraitance n’est pas un comportement normal. Que penser de la maltraitance de nos étudiants, que la société n’épargne pas et qui risquent bien de devenir maltraitants à leur tour ? Combien de soignants, pourtant, sont bienveillants, dévoués, attentifs ? Comment peut on laisser s’installer un “débat “ avec donc des pour et des contre, à propos d’affiches traitant l’ensemble de professionnels de “ connards “ ?

Quelles sont les instances à saisir ?

Que va t’il sortir de ces pugilats médiatiques ?

Rien d’autre qu’un dégoût profond pour une société qui souffre de manques de repères, d’émergence d’extrémismes en tous genres et qui a laissé son cerveau au vestiaire avant d’entrer dans le stade où les gladiateurs (esclaves) ne survivront que s’ils tuent l’adversaire sous les vivats d’une foule en transe.

Le sujet mérite beaucoup mieux que cela. Il mérite une remise à plat du rôle du médecin, de sa formation, de sa place dans la société, de la valeur de son engagement, de la gouvernance du métier et bien d’autres encore.

Je ne tuerai personne pour continuer à exercer un métier que j’aime et respecte autant que je respecte les patientes, mais si je ne suis plus respectée, alors je laisserai la place aux algorithmes, “speed practice “ et autre sciences sans conscience.

Il faut prendre conscience que certain esprits fragiles pourraient prendre ces incitations à la haine pour des appels au meurtre, l’actualité donne chaque jour de tristes exemples de ces comportements.

Et anticiper, prévenir cela, c’est le rôle des pouvoirs publics .

Si les pouvoirs publics ne mettent pas un peu d’ordre dans la démesure de ce déchaînement de violence, ne priorisent pas les débats et celui de la maltraitance en est un (mais la maltraitance de tous y compris des soignants), alors, c’est le retour de la barbarie et de la loi du plus fort. A ce jeu là, liberté et bienveillance n’ont jamais gagné .