La Mise Sous Accord Préalable (MSAP), de la Loi du 13/08/2004 au TGI d’Avignon !

1) La version initiale était rédigée ainsi :

  • Article L162-1-15, créé par la Loi n°2004-810 du 13 août 2004 – art. 25 JORF 17 août 2004

« Le directeur de l’organisme local d’assurance maladie peut décider, après que le médecin a été mis en mesure de présenter ses observations et après avis de la commission prévue à l’article L. 162-1-14, à laquelle participent des professionnels de santé, de subordonner à l’accord préalable du service du contrôle médical, pour une durée ne pouvant excéder six mois, la couverture des frais de transport ou le versement des indemnités journalières mentionnés aux 2° et 5° de l’article L. 321-1, en cas de constatation par ce service :
1° Du non-respect par le médecin des conditions prévues au 2° ou au 5° de l’article L. 321-1 ;
2° Ou d’un nombre ou d’une durée d’arrêts de travail prescrits par le médecin et donnant lieu au versement d’indemnités journalières significativement supérieurs aux données moyennes constatées, pour une activité comparable, pour les médecins exerçant dans le ressort de la même union régionale de caisses d’assurance maladie ;
3° Ou d’un nombre de prescriptions de transports significativement supérieur à la moyenne des prescriptions de transport constatée, pour une activité comparable, pour les médecins exerçant dans le ressort de la même union régionale de caisses d’assurance maladie.
Toutefois, en cas d’urgence attestée par le médecin prescripteur, l’accord préalable de l’organisme débiteur des prestations n’est pas requis pour la prise en charge des frais de transport.
 »

  • Le 22/12/2006 était rajouté « le non respect des 1° et 2° de l’article L. 431-1 du présent code (ainsi qu’aux 1° et 2° de l’article L. 752-3 du code rural, c-à-d une extension au régime « accident du travail »
  • Le 22/12/2007 la possibilité de MSAP est étendue à l’ensemble des prescriptions du médecin.
  • Le 28/12/2009, la gestion des MSAP étant relativement lourde pour les services médicaux le législateur a inventé la MSO : Mise Sous Objectif proposée et consentie par le médecin. Lorsqu’il accepte une MSO, le médecin reconnaît tacitement qu’il prescrit trop. Il parvient rarement à l’objectif fixé et passe directement par la case « pénalités » de l’art. L162-1-14, et se retrouve dans une situation identique l’année suivante ! Échaudé il aura tendance alors à refuser cette auto punition.
  • Les versions ultérieures n’apporteront que des modifications mineures.

2) L’application de l’art 162-1-15 par les CPAM
Depuis le début la CELLULE JURIDIQUE (CJ) de la FMF prétend que l’art 162-1-15 du code de la sécurité sociale a été « mal écrit par le législateur  » !

En effet comment le directeur d’une CPAM pourrait respecter la notion « d’activité comparable » alors qu’il n’a accès qu’aux données des prescriptions et pas au profil médical précis de la patientèle des médecins ciblés au national !
Depuis le début la CJ de la FMF a qualifié les procédures utilisant l’art. L162-1-15 de « délit statistique » et a accompagné des confrères devant les Tribunaux Administratifs (TA) pour contester des décisions de MSAP, avec succès d’ailleurs, à Nîmes et à Montpellier. A l’appui de notre qualification de délit statistique, je produis un document interne de l’ERSM (Échelon Régional du Service Médical) de la région PACA qui montre bien qu’il s’agit uniquement d’un traitement statistique des données  !
Au niveau des juridictions administratives, la CJ de la FMF n’a pas la même lecture que les juges qui refusent les référés en prétendant qu’il n’y aurait pas urgence à statuer et que la MSAP ne serait pas une sanction ! Pourtant le médecin est stigmatisé devant sa patientèle, doit se livrer à un travail administratif chronophage à chaque prescription, et il est sanctionné financièrement (pénalité limitée à 2 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale au maximum : plus de 6 000 € quand même) devant la commission des pénalités à la 2è récidive ! Une CPAM en France (Evreux dans l’Eure) parle même de « commission des sanctions » à propos de la commission des pénalités ! A soumettre au prochain juge qui affirme qu’il ne s’agit pas d’une sanction.

La conséquence en est un déni de justice, avec une atteinte aux droits de la défense, qui voit un médecin effectuer sa période de MSAP (3 à 6 mois) et qui, 2 ans plus tard, passe devant un juge administratif qui déclare qu’il n’avait pas à subir cette « peine » que nous qualifions bien de sanction. En droit, la procédure « d’appel » doit juridiquement être suspensive de la sanction, non ? Et ne pas intervenir une fois la sanction effectuée !

Que dire alors du respect de l’art 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme que je rappelle ci-dessous :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

  • Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
  • Tout accusé a droit notamment à :
    • être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
    •  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
    •  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
    •  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
    •  se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

L’absence de repères médicaux permettant de respecter « l’activité comparable » pourtant inscrite dans la Loi est à l’origine de situations (vécues) où l’assurance maladie a du mal à se justifier ; par exemple :

  • La CPAM du Rhône qui entendait mettre sous MSAP tel chirurgien ophtalmologiste pour un taux d’interventions sur les paupières statistiquement supérieur à celui de ses confrères, sauf qu’il est spécialisé dans cette chirurgie et n’opère que des paupières !
  • La CPAM de l’Ain qui entendait mettre sous MSAP tel chirurgien orthopédique pour un taux d’indemnités journalières (IJ) statistiquement supérieur à celui de ses confrères, sauf qu’il est spécialisé dans la chirurgie de l’épaule, qui, statistiquement s’adresse plus volontiers à des patients plus jeunes, susceptibles de travailler, donc de bénéficier d’IJ et qu’il était comparé à des confrères traitant plutôt des pathologies arthrosiques PTH et PTG (prothèses de hanches et de genoux) qui s’adressent à des retraités ne justifiant pas d’IJ !

Il y a également le pourcentage de patients bénéficiaires de la CMU-C au sein de la patientèle du médecin qui influence statistiquement le taux d’IJ : plus il est élevé, plus il favorise le médecin en abaissant son taux d’IJ et à contrario plus il est faible plus il pénalise le médecin ! Une extraction des données du SNIIRAM (Système National d’Informations Inter régimes de l’Assurance Maladie) sur l’année 2016 au niveau de la région Auvergne-Rhône-Alpes a montré que les patients bénéficiaires de la CMU-C avaient recours 1,63 fois moins aux IJ.

Il ressort de ces exemples que, sans une connaissance fine de l’activité médicale des médecins, l’activité comparable ne peut être respectée. Mais ce qui parait simple à justifier pour des spécialistes d’organes est plus difficile pour des généralistes ! Sous cette qualification exercent des généralistes classiques mais aussi des MEP (homéopathes, acupuncteurs, ostéopathes…) des angiologues, des médecins du sport… autant de façons différentes d’exercer. Tel médecin va exercer sur un bassin de population avec beaucoup de travailleurs manuels exposés à des troubles musculo-squelettiques et je remarque sur ma région que les médecins éligibles à la MSAP exercent tous sur des zones défavorisées (La Duchère, Bron, Vénissieux, Vaulx-en-Velin, quartier Mermoz du 8è…) sans que la CPAM ne se pose la question de « l’activité comparable  ».

Enfin, le sujet de la MSAP parait suffisamment conflictuel pour que le Président de la CNAMTS, Nicolas REVEL, ait accepté la proposition de la FMF de créer dans chaque CPAM une COMMISSION DE CONCILIATION pour analyser et traiter avant leur judiciarisation les cas qui apparaîtraient contestables.

3) La MSAP est-elle anodine ?
Absolument pas, il s’agit d’un harcèlement au minimum ressenti par le prescripteur qui va recevoir une série de LR, être amené à se justifier, puis convoqué devant la commission des pénalités et ils sont nombreux à l’issue de cette procédure à arrêter leur activité libérale pour la retraite ou une reconversion vers le salariat.
N’allez pas chercher pourquoi les jeunes refusent l’installation en libéral !

Quand elle se répète années après années la pression est encore plus durement ressentie et la sanction peut être prononcée à la 2è récidive.
Imaginez un médecin, notamment généraliste, qui travaille à peu près le double en horaire que la moyenne des français, qui passe son temps libre en tâches administratives, recevant ces LR itératives, dans un style administratif très péremptoire ; comment ne pas se sentir harcelé ?

4) La MSAP est-elle une sanction ?
La réponse de la Cellule Juridique de la FMF est OUI sans hésiter, et je l’ai déjà exposé plus haut

  • Stigmatisation du médecin devant sa patientèle : tout arrêt de travail doit être validé par le contrôle médical, d’où un retard de paiement des IJ au patient qui est victime, « par ricochet », de la décision de MSAP à l’en contre du médecin portant au patient un préjudice individuel alors qu’elle a été prise sur des bases statistiques à l’en contre de son médecin et non sur l’étude médicale spécifique de son dossier.
  • Formulaire à renseigner à chaque prescription d’IJ pour un patient (comme les 500 lignes à l’école !), particulièrement chronophage pour des médecins déjà surchargés. 
  • Sanction financière à la 2è récidive de MSAP.
  • Au passage la MSAP respecte-t-elle l’art. L162-2 du Code de la sécurité sociale qui précise que « …dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971… »

5) « L’affaire d’AVIGNON »
En 2015, le Dr AGOPIAN, généraliste excédé par une nouvelle MSAP de 6 mois (15 janvier au 15 juillet 2015), a affiché dans sa salle d’attente le 5 janvier 2015 une note précisant qu’il se sentait harcelé par le directeur de la CPAM, Mr Dominique LETOCART et le médecin conseil chef (tous deux nommément cités). Je rappelle que le texte de l’art. 162-1-15 donne au directeur de la CPAM le pouvoir d’initier la procédure : « Le directeur de l’organisme local d’assurance maladie peut décider… », l’association du service médicale n’est pas requise par le texte, il ne s’agit, au moins au départ que d’une procédure administrative, le service médical n’intervenant qu’à son terme en cas de MSAP.
Le Directeur de la CPAM d’AVIGNON a déposé plainte en diffamation devant le TGI d’Avignon en son nom et au nom de la CPAM d’AVIGNON contre le Dr AGOPIAN et le rédacteur en chef du Quotidien Du Médecin qui s’était fait l’écho de ce différend. Dommage en 2015 les commissions de conciliation n’étaient pas encore en place !

Pour ce confrère, il s’agissait de la 3è période de MSAP depuis 2010 :

  • 3 mois de MSAP en 2010 (1er mai au 31 juillet),
  • 6 mois en 2013 (7 janvier au 6 juillet 2013),
  • 6 mois en 2015 (15 janvier au 15 juillet 2015).

Comment ne pas, dans ces conditions se sentir harcelé d’autant que pour chaque procédure c’est une répétition de plis en recommandés qui s’abattent sur le médecin :

  • Annonce du ciblage
  • « invitation » à venir s’expliquer
  • Convocation devant la commission des pénalités (avis consultatif)
  • Notification de la période de MSAP …

Placé sous une nouvelle MSAP le Dr AGOPIAN est-il «  interdit » d’arrêt comme il l’affiche ? Juridiquement NON, mais en pratique il lui est reproché statistiquement par la CPAM du Vaucluse d’en faire trop, il doit donc diminuer ses prescriptions et pour chaque arrêt il doit renseigner un formulaire A4 à 15 entrées !

  • Nom et prénom
  • Adresse
  • n° d’immatriculation à l’assurance maladie
  • Arrêt maladie ou AT / MP
  • Arrêt initial ou prolongation
  • jusqu’à (date)
  • Date prévisible de fin de l’arrêt
  • Diagnostic de l’affection motivant la prescription de l’arrêt de travail
  • Arguments cliniques et résultats éventuels des examens complémentaires récents significatifs
  • Projet thérapeutique détaillé : spécialités pharmaceutiques – autres soins y compris paramédicaux
  • Profession actuelle du salarié
  • Signes fonctionnels de l’incapacité de travail en rapport avec la profession
  • Facteurs sociaux associés
  • Date et signature
  • Tampon professionnel

Sur le plan Déontologique et réglementaire (code de la santé publique) le Dr AGOPIAN est-il libre de donner ou non des soins à qui il veut ? La réponse est OUI hors situation d’urgence ou compassionnelle, et le Président du CDOM du Vaucluse interrogé par la presse (La Provence) l’a bien précisé .
je cite ci dessous l’article 47 du Code de déontologie médicale repris dans l’article 4127-47 du code de la Santé Publique :

« Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée.
 Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles.
S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. »
Le Dr AGOPIAN a respecté ces consignes précisant les recommandations par voie d’affichage, mais après 3 MSAP le voilà maintenant poursuivi en diffamation et votre serviteur cité comme témoin de la défense . L’audience du TGI avait déjà été reportée, convoqué le 19 juin 2017, j’étais présent à 14h30 au TGI ; j’avais bien lu sur la convocation que « …si je ne me présentais pas à l’audience, le Tribunal pouvait me faire conduire devant lui par la force publique… ».
C’était un lundi, les MG peuvent imaginer la désorganisation de l’activité quand il faut rayer une journée de consultations après un week end ! C’était aussi la première période de canicule de cet été 2017, 39° à AVIGNON à ma sortie du tribunal qui a été extrêmement rapide le Procureur ayant d’emblée demandé à la présidente le report car il n’avait pas eu le temps d’examiner les QPC déposées par la défense ! Refus de la présidente de m’auditionner en dehors du contexte de l’audience, même si je viens de faire 235 Km pour venir de Lyon !
Je suis à nouveau convoqué le 6 septembre à 8h30, à croire qu’ils ne veulent pas m’entendre, 8h30 pour un témoin qui se déplace de Lyon cela l’oblige à partir à 6h du matin !
La MSAP, je connais bien, je la pratique depuis plusieurs années, en revanche le fondement de la diffamation un peu moins, même avec l’expérience de la CJ de la FMF, mais je pense que nos magistrats ont d’autres affaires bien plus importantes que ces conflits de personnes, d’autant qu’en matière d’appréciation juridique de la diffamation la France semble ne pas devoir être citée en exemple :

L’État français venant cette année d’être épinglé pour « ingérence disproportionnée dans la liberté d’expression » le 23 avril 2015 par la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) alors qu’il avait condamné pour ce motif en première instance, en appel et en cassation un avocat  ! Le fameux arrêt « MORICE » va maintenant faire la jurisprudence en la matière.

Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, Lyon 3è
Responsable de la Cellule Juridique de la FMF