J’ai dévissé ma plaque pour sauver ma peau

« Généraliste, urbain et âgé de 54 ans ». Voici le profil-type du médecin qui choisit de plaquer son activité libérale selon le dernier Atlas démographique national dressé par le Conseil national de l’ordre des médecins. Jérémie Caudin y colle bien. Installé depuis 1989 à Boulogne-sur-Mer (62), la deuxième ville la plus peuplée du département, ce généraliste de 52 ans a dévissé sa plaque il y a deux mois pour rejoindre l’hôpital de Berck-sur-Mer, à une cinquantaine de kilomètres de là. « Il ne fallait plus grand-chose pour que je dévisse », jure-t-il.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase : une mise sous tutelle de trois mois pour avoir prescrit trop d’actes de kinésithérapie. Il est important de re-préciser que le Dr Caudin est spécialisé en traumatologie du sport et très impliqué dans la vie associative sportive du coin. « Après 20 ans de bons et loyaux service, je reçois, la même semaine, deux lettres émanant du même ministère : la première me décerne une médaille pour mon activité dans le milieu du sport. La seconde m’épingle parce que je fais trop de kinésithérapies. Bah oui, forcément je vois beaucoup de sportifs ! » Le revers de la médaille…

Il passe comme cela est prévu devant la commission des pénalités où il explique : « On a comparé mon activité avec celle de médecins généralistes purs ! C’est complètement illogique. Alors oui je suis au-dessus de la norme en kiné, mais en médicaments, en biologie ou en bons de transports, j’ai un délit statistique négatif par rapport à mes confrères. Alors pourquoi on ne m’attaque pas là-dessus ? »

« C’est devenu tellement difficile dehors »

Finalement, la commission le blanchit à l’unanimité mais le directeur de la caisse décide quand même de le sanctionner – les articles 162.1.14 et 15 du code de la sécurité sociale prévoient en effet que le directeur de la caisse ait le dernier mot quant à la pénalité prononcée à l’encontre du médecin. Jérémie Caudin est ainsi condamné à trois mois d’entente préalable. Au cours de cette période, toutes ses ordonnances, à l’exception de l’une d’entre elles, seront validées par le médecin-conseil alors qu’il ne change en rien sa pratique. Concernant la seule ordonnance refusée, le patient a finalement dû être opéré. Il a porté plainte et a obtenu gain de cause. « Elle est pas belle la vie ?! », conclut le généraliste désabusé. Quelques mois plus tard, il dévisse sa plaque et accepte une proposition pour exercer dans un service de rééducation fonctionnelle à l’hôpital.

 « Même si vous avez gagné, c’est une bagarre qui vous ronge. Vous vous demandez sans arrêt pourquoi tant de hargne, pourquoi tant de haine ?

La décision n’a pourtant pas été facile à prendre. Parce que partir c’est aussi et surtout abandonner ses patients. Beaucoup n’ont toujours pas retrouvé de médecin et le local qui servait de cabinet ne va pas tarder à être transformé en studio ou en commerce.

« Les conditions en libéral sont telles que plus personne ne veut s’installer en médecine de ville, raconte encore le Dr Caudin. J’ai mis une annonce en précisant que je cédais gratuitement ma patientèle avec tout le matériel y compris du matériel consommable. Mais personne n’en a voulu alors que je suis quand même dans un quartier très sympa dans la vieille ville de Boulogne. »

Même sort pour ses confrères partis à la retraite. Ils n’ont pas trouvé de successeur. Et c’est encore le cœur serré que Jérémie Caudin évoque les courriers envoyés par ses anciens patients lui souhaitant bon vent pour cette nouvelle aventure.

Mais il fallait qu’ »il sauve sa peau », comme il dit, pour être aujourd’hui « heureux » et « serein ».

 « Tout est fait actuellement pour faire fuir les libéraux »

Comme beaucoup, il porte un regard très pessimiste sur la médecine générale qui, selon lui, ne va pas aller en s’arrangeant. « La situation actuelle est gravissime et je pense que le tsunami que tout le monde s’attend à voir arriver va venir beaucoup plus vite que prévu. Tout est fait actuellement pour faire fuir les libéraux. »

Pourquoi ne pas se reconvertir ? Il explose de rire avant de reprendre plus sérieusement : « D’abord si c’était à refaire, je referais médecine. Et puis, que voulez-vous que je fasse ? Je ne sais rien faire d’autre ! Enfin si ! Il y a un bien un métier que je pourrais faire et très bien, dit-il en plaisantant, c’est directeur de caisse. Ça, je saurai le faire avec beaucoup plus d’humanité et avec une vraie vision du terrain. »